Ça commence comme une nouvelle de Brady Udall ou Annie Proulx. En parallèle de la littérature contemporaine américaine, constante auto-fiction d'un pays se racontant chaque jour, The place beyond the pines mêle peinture réaliste et puissance romanesque. Le deux se nourrissent alors l'un l'autre, se croisent et s'accordent pour nous offrir un récit dense au souffle lyrique.

Aimer ce film est une histoire de foi. Il faut croire au pouvoir d'une histoire édifiante, croire aux croisements improbables des chemins, croire aux destins de personnages aux élans complexes. Film musical en trois mouvements, The place beyond the pines structure, destructure, restructure le rythme de sa narration à coup de montages syncopés, de raccords elliptiques, de longues plages de temps mort. Ici l'écriture est visuelle autant que l'image est parlante. Porteur d'une mythologie de losers magnifiques, de héros se reniant eux-mêmes, et de fils en quête de figures paternelles, Derek Cianfrance réussit presque le sans faute dans cette fresque ambitieuse et brutale, qui met Anderson et Malick K.O.

Celui qui nous faisait croire d'emblée au couple de Blue Valentine, nous plonge à nouveau dans une histoire d'amour bouleversante, avec pour point de départ la (presque) naissance d'un enfant en guise d'effet papillon. Emporté par le rythme addictif du récit et ses constantes ruptures de rythme, entre accélérations grisantes et scènes contemplatives, douceur et brutalité de Luke, constance de Romina, complexité d'Avery, on retient son souffle avant de le reprendre pour plonger à nouveau. Et même lorsqu'on trébuche sur un ressort dramatique un peu hasardeux en début de dernière partie, on retrouve bien vite le cours d'un récit plus fort que ses accidents de parcours (la transition entre les deux premières partie est tellement brillante, qu'on pardonne les quelques faiblesses de la troisième).

Récit en cascade de destins sacrifiés, de luttes de classes et d'erreurs de parcours, The place beyond the pines repose sur un casting aussi puissant que sa mise en scène. Bien plus convaincant ici que dans Drive, retrouvant le charisme qui nous faisait frissonner dans Blue Valentine, Ryan Gosling prend le premier relais, bientôt secondé par une Eva Mendès aussi fragile que forte, tête haute et regard noir, magnifique, elle-même rattrapée par un Bradley Cooper qui n'a jamais été aussi bon que malmené par un Ray Liotta terrifiant, le récit s'achevant sur la figure troublante de Dane DeHaan, aussi bon ici que dans Chronicle.

En deux films vibrants, Derek Cianfrance affirme un style de pleins et de déliés, vif comme une tempête, doux comme une brise. Héritier des grands narrateurs de la fiction américaine, il nous raconte les vies grandes et banales de ceux qui nous ressemblent.
pierreAfeu
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le 25 mars 2013

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pierreAfeu

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