Voir le film

Très bon western qui, comme la plupart des exemples modernes du genre, inverse la dynamique classique tournant autour de la conquête d’un territoire et de la formation d’une communauté.


Phil s’isole sur ses terres, maître d’un petit monde qu’il connaît et qu’il maîtrise. Quand son frère veut rompre cet isolement, les nouveaux venus subissent son courroux. Dans une sorte de huis-clos au sein des grands espaces, les relations s’enveniment entre des personnages isolés, volontairement ou malgré eux. Le film est donc aussi une sorte de thriller, avec une atmosphère insidieuse et une paranoïa croissante. Et pour ça, il est aidé par une musique aussi venimeuse que son intrigue.


À l’origine de cette tension qui monte, Phil et son secret. C’est un homme terrifiant, modèle de masculinité et de domination. Benedict Cumberbatch donne puissamment corps à ce personnage dénué de l'intellect qui caractérise ses autres personnages. Mais que cache son refus de la communauté ? Est-il simplement trop attaché à la vie de cowboy solitaire ?


Phil garde férocement la réponse, et c’est cette férocité qui guide d’abord l’intrigue, avec la tension décrite plus haut. La seconde partie du film fait tout basculer. Phil baisse sa garde et les dynamiques s’inversent. Désormais, sa violence ne peut plus masquer ce qui vit à l’intérieur de lui. Il change donc de stratégie, se montrant plus doux et amical. Mais le film refuse les résolutions simples et continue jusqu’au bout son exploration de la cruauté et de ses conséquences (ce qui le rend très savoureux).


Ce n’est pas le premier western si soucieux de l’intériorité de ses personnages, mais Jane Campion trouve un équilibre fort entre un style rugueux, un univers masculin, une violence sourde et des moments d’intimité et d’émotions brutes, lorsque le jardin secret de ses personnages et très littéralement mis à nu. C’est tout le paradoxe de Phil qui s’exprime dans ce ton déchiré entre deux notes. C’est un homme en crise entre ce qu’il est et ce qu’il exprime et qui met toutes ses forces dans la dissimulation de ses faiblesses.


Ça se voit aussi dans des décors bruns, sales et arides, mais qui lors de quelques scènes s'éloignent de la terre pour se rapprocher de l’eau et deviennent alors tout autre chose.


Le film semble parler du moment critique où les pulsions qui ont mené à la conquête d’un territoire se révèlent destructrices lorsqu’il faut apprendre à y vivre ensemble. Phil, entièrement tournée vers la domination de son environnement et refusant de se connaître lui-même, se révèle être un poison pour la terre.


C'est justement parce qu’il ne veut pas seulement dominer son environnement mais aussi sa propre identité qu’il est incapable tisser des liens avec les autres. Une vie de repli sans introspection, voilà les graines desquelles émerge le drame de sa propre nature.


En somme, une belle déconstruction de ce qui est l’un des moteurs principaux du genre du western, la masculinité, mais qui ne le fait pas de manière gnangnante ou gentillette. Au contraire, le film est d’une violence à la hauteur de son sujet et de son personnage central.

ClémentLepape
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2021

Créée

le 25 févr. 2022

Critique lue 58 fois

Clément Lepape

Écrit par

Critique lue 58 fois

D'autres avis sur The Power of the Dog

The Power of the Dog
Plume231
3

Ce peu obscur objet du désir !

Le protagoniste, ou plutôt l'antagoniste, incarné par Benedict Cumberbatch, veut visiblement réaliser l'exploit de faire comprendre en aussi peu de temps que possible qu'il est un gros con. En deux...

le 1 déc. 2021

65 j'aime

16

The Power of the Dog
mymp
8

Mise à mort du mâle sacré

"I wanted to say how nice it is not to be alone". Alors qu’ils viennent de se marier, Georges, à travers quelques larmes, avoue cela à Rose, la femme qu’il vient d’épouser. Lui avoue que c’est...

Par

le 10 déc. 2021

60 j'aime

6

The Power of the Dog
voiron
7

Critique de The Power of the Dog par voiron

Phil et George Burbank en 1925 sont deux frères propriétaires d'un immense ranch. Phil est un cowboy rustre, viril et colérique et brut. George est plus raffiné et bienveillant. Lorsque ce dernier...

le 28 janv. 2022

45 j'aime

18

Du même critique

Shiva Baby
ClémentLepape
5

Shiva Baby

C’est l’histoire d’une jeune femme en manque d’ambition qui jusqu’ici maintenait les bribes de sa vie en place (son sugar daddy, son ex, ses parents) mais qui finit par s’écrouler quand ceux-ci...

le 25 févr. 2022

6 j'aime

The Batman
ClémentLepape
7

The Batman

Grosse adhésion au film pour moi, et il rejoint facilement The Dark Knight et Batman, le défi au rang de mes interprétations favorites du héros. Je pense que pour ça, je peux remercier sa longue...

le 5 mars 2022

5 j'aime

3

The Innocents
ClémentLepape
5

The Innocents

Par moments, je me suis salement ennuyé au cours de ce film qui vit dans l’ombre d’un certain nombre de ses prédécesseurs (je sais que Morse est le plus cité). Parce que l’ensemble prend du coup un...

le 25 févr. 2022

3 j'aime