Douze années après son dernier film, Jane Campion revient avec un western sombre et ingénieux qui marque le retour d'une très grande cinéaste. The Power of the Dog est l'adaptation du roman éponyme de Thomas Savage datant de 1967 s'intéressant à deux frères du Montana, Phil et George, aux caractères opposés. Leurs divergences ne seront que plus fortes à l'arrivée de la nouvelle femme de George et de son fils Peter.
Jane Campion, dont le cinéma nous avait habitué à dépeindre des figures de femmes, change ici son fusil d'épaule pour s'intéresser à des personnages masculins. Mais loin de façonner des protagonistes mâles univoques, la cinéaste néo-zélandaise donne naissance à des personnalités complexes dans un univers pourtant des plus virils. C'est d'ailleurs probablement la grande réussite de ce long-métrage : fabriquer une étude brillante des personnages masculins avec autant de finesse que de rigueur. Or, pour interpréter de tels protagonistes, le choix de Jesse Plemons, Benedict Cumberbatch et Kodi Smit-McPhee se révèle remarquable (mention spéciale pour Cumberbatch dans le rôle du cow-boy à l'ambigüité magistrale qui pourrait bien lui valoir une nomination aux Oscars). Mais il serait regrettable d'omettre le personnage et la performance de Kirsten Dunst dont le rôle semble secondaire mais qui représente pourtant le pivot de l'intrigue et se place donc comme déterminante. Campion fonde donc son film sur l'observation méticuleuse de personnages masculins ambivalents mais c'est bien l'arrivée du protagoniste féminin dans la famille qui déclenche les événements futurs. Ainsi, la cinéaste se démarque ici du reste de sa filmographie tout en conservant un portrait fort de femme qui se révèle décisif.
Tout dans The Power of the Dog est digne d'ambivalence. Les personnages, mais également les paysages dont l'immensité paraît à la fois splendide et angoissante. La mise en scène fond constamment les protagonistes à l'intérieur de la beauté des paysages tant et si bien qu'elle semble finalement vouloir les ensevelir. Ainsi, ceux qui s'imaginaient être des dominateurs virils se retrouvent tout petits face à la grandeur et au pouvoir de la nature. Les thématiques privilégiées de Jane Campion sont donc une nouvelle fois ici manifestes mais prennent une allure souvent sombre et inquiétante. Le piano par exemple est un motif qui revient dans ce film mais là où dans La Leçon de piano il était symbole de délivrance et de liberté il apparaît ici à l'inverse comme un élément tyrannique. La musique aussi apporte avec elle et ses dissonances un sentiment d'oppression. Il existe donc une tension certaine dans The Power of the Dog que Campion élabore d'une manière magistrale et inattendue passant notamment par tous les éléments et motifs chers à la réalisatrice.
Ainsi, Jane Campion constitue avec ce nouveau film un univers tant brut que raffiné où la délicatesse épouse magistralement le sentiment d'oppression présent tout au long du film et dont le dénouement mystérieux rebat toutes les cartes. The Power of the Dog marque donc le retour d'une réalisatrice dont le talent n'est plus à prouver mais qui nous prouve tout de même une nouvelle fois ici qu'elle est l'une des plus grandes cinéastes de notre temps.