La fascination de l'image ou comment torpiller son film

ALERTE : cet avis contient des spoilers. Si vous n'avez pas encore vu le film et que vous envisagez de le voir prochainement, changez de page ;)


Se situant entre le "Guide du survivialisme" et celui du "Petit trappeur futé", vous apprendrez dans ce film que seul survivent les héros, qui après avoir été dans l'erreur pendant plus de 2h30, prononcent enfin cette phrase (oh combien policée) : "La vengeance appartient à dieu"(Flash info : Dieu est amérindien !)


Il vous reste 2mn et quelques pour réaliser que vous avez :



  • Tué un ours,

  • Etes sorti de votre tombe,

  • Veillé le dernier souffle de votre fils,

  • Rampé sur plus de X kilomètres,

  • Mangé la moelle d'une vertèbre pourrie, des poissons crus et des oiseaux,

  • Soigné vous-mêmes à la poudre votre oesophage béant,

  • Survécu à la faim, aux engelures, aux froids, aux loups, à la gangrène et à une infection généralisée,

  • Affronté des hommes sans loi, ni dieu,

  • Dormi dans la carcasse encore chaude de votre cheval que vous veniez d'éviscérer,

  • Allumé du feu terré dans la neige avec du bois sortant de je ne sais où,

  • Evité une avalanche,

  • Et qu'enfin vous vous êtes battu hardiment contre l'assassin de votre fils...


Pour venir face caméra (le regard plus bleu que jamais) pour vous rendre compte qu'une bande d'imbéciles a payé 15€ sa place, installée dans des fauteuils de velours rouge bien au chaud, pour assister à votre monumentale, colossale et incommensurable erreur...


Si ce n'était la beauté des images, la bande son présente juste ce qu'il faut, l'utilisation des décors et des cadrages qui inscrivent l'environnement au centre de "The revenant", ce film n'aurait pas réussi à me tenir dans mon siège les 2h30 qu'il dure. La première heure (à part l'intro efficace et maîtrisée) a bien failli avoir raison de ma patience à coup de dialogues d'une niaiserie presque touchante.


Car il dure ce film... Ciel ce qu'il duuuurrrrreeeee ! Ca en est gênant. L'accumulation improbable et sur-dramatisée des péripéties de Hugh Glass aurait pu, avec une ossature scénariste plus affûtée, emporter mon adhésion. Mais comment éluder la vacuité des séquences oniriques qui exhorte le spectateur à remplir par son fatra philosophique et éthique personnel le vide mis à disposition par les 2 scénaristes ?


Le résultat de ce manque d'écriture ? Un film d'une beauté prétentieuse, un étalage de violence dont l'utilité est parfois discutable, un réalisme alternant entre l'outrancier et l'approximatif, une sur-enchère dramaturgique qui n'a d'égale que sa longueur.


"The revenant" devait-il réussir sa traversée pour nous balancer cette morale (bien insipide et réchauffée) que "la vengeance ne ramène pas les morts" ? Cette fin, bien maigre, a-t-elle été exigée par les distributeurs et les producteurs en contrepartie d'un blanc-seing pour la "violence visuelle" ? Après avoir, pendant près de 2h30 , esthétisé et mis en évidence la violence qui baignait probablement ces régions et cette époque, a-t-il fallu policer le discours par un ending consensuel ?


La fin aurait été différente, peut-être aurai-je trouvé à ce film assez d'excuses pour lui pardonner tout ses autres défauts. Mais comment passer outre cette fin tiédasse qui soudain nous rappelle qu'aujourd'hui, comme hier, on ne fait pas du cinéma en toute liberté. Ce twist final est si artificiel qu'il paraît ne pas être l'oeuvre de celui qui est derrière la caméra.


Et si mes allégations sont fausses, alors Inarittu n'a aucune excuse pour nous avoir baladé de la sorte. La prochaine fois que je vais jusqu'au cinéma, que je paie ma place, que je m'installe et que j'éteins mon téléphone, cher Inarittu, pourriez-vous faire votre boulot et avancer jusqu'à moi ? Et cette fois pas besoin d'onirisme, de corps lacérés ou de giclées de sang sur la caméra, de plans séquences interminables et de morale. Juste une histoire construite et un peu moins de fascination pour vos propres images et on pourra commencer à parler cinéma... ou presque.

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le 20 avr. 2016

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