Une des très belles idées de ce film tout en justesse réside dans cette main rétive qui se contracte sur une des deux rênes du cheval et ne semble plus vouloir la lâcher. Cette main au comportement imprévisible dont Brady a hérité à la suite d'une chute de cheval qui lui a ouvert la cervelle. Et qui l'a laissé dans une convalescence interminable et l'impossibilité de monter le moindre canasson, lui qui ne vit, pense et rêve qu'au travers des chevaux. Toute la problématique de Brady trouve sa métaphore dans cette poignée récalcitrante. Elle symbolise à la fois l'impuissance du jeune dresseur à maîtriser la tournure qu'a pris son destin et en même temps son acharnement, presque inconscient, à ne pas vouloir lâcher l'affaire.
Car si la sagesse autant que les médecins et ses proches lui recommandent de renoncer au dressage et à la monte - qui nécessitent pour le moins l'usage des deux mains, le jeune cow-boy ne l'entend pas de cette oreille et s'inscrit dans le déni de son handicap autant que dans l'illusion d'une gloire définitivement perdue.
La mise en scène de Chloé Zhao s'attache justement à mettre en évidence le rodéo mental qui se joue dans le crâne du jeune rider en manque de cavalcades. En le collant au plus près, dans ses moments de doute comme dans ceux qui lui redonnent espoir. Le film est ainsi ponctué de scènes qui illustrent magnifiquement cette longue phase de renoncement et de résilience. Un face à face au crépuscule avec les étendues désertiques du Dakota, la complicité avec un cheval aussi têtu que lui ou encore la scène magnifique du feu de camp autour duquel, à tour de rôle, chacun des potes de Brady racontent comment la passion du rodéo a marqué leur chair.
C'est aussi la bonne surprise du film qui n'est pas qu'un exercice de mise en scène, Chloé Zhao nous fait découvrir, quasiment en mode documentaire, un univers particulièrement spectaculaire, celui des chevaux sauvages, des traditions de dressage et de ces courses de rodéo frappadingues qui nous paraissent à nous Européens tout simplement suicidaires. De fait, estropiés, manchots et types cabossés - tous ayant payé le prix fort pour les huit secondes à tenir sur un cheval monté sur ressorts - sont ici monnaie courante et témoignent de la violence que ces hommes s'imposent. La dimension réaliste du film est d'autant plus forte que la réalisatrice non seulement nous fait découvrir les codes de cet univers à part mais que pour se faire elle a fait appel non pas à des comédiens professionnels mais à de véritables figures locales. Ainsi de Brady, de son père et de sa petite sœur, chacun dans leur propre rôle mais également de personnages secondaires mémorables comme Lane Scott, l'ancienne gloire devenue tétraplégique et véritable ami de Brady Jandreau dans la vie.
Un film à ne pas manquer.


Personnages/interprétation : 9/10
Histoire/scénario : 7/10
Mise en scène/réalisation : 8/10


8.5/10

Theloma
8
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le 1 mai 2018

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