À l'image de son thème principal interprété par Bobby McFerrin, The Square est un objet filmique étonnant qui a peu de chance de vous laisser indifférent.
Rubben Östlund confronte le spectateur à toute la vacuité de son existence, son indifférence maladive, son besoin primaire de paraître et sa profonde lâcheté. Malmené par toute cette médiocrité crasse, Christian, homme moderne pressé, hédoniste hors pair, incarnation boursouflée et grotesque du bourgeois contemporain, apparaît totalement vain et égocentrique, écartelé entre ses irréconciliables responsabilités familiales et obligations professionnelles, tantôt tyran et victime.
Le réalisateur n'épargne personne dans ce portrait au vitriol et se plaît à mettre en difficulté l'homme qui espère s'être transformé suffisamment pour prétendre s'éloigner de sa branche simiesque, réfugié derrière une intellectualisation superficielle et un appareil social défaillant. L'art contemporain et son absurde recherche de légitimité permet de mettre en scène l'opposition entre la candeur d'un public en quête de sens et l'approche froide et cynique d'une gestion entrepreneuriale agressive, seule voie valable pour exister dans le capharnaüm bruyant de nos vies, qu'elles soient réelles ou virtuelles.
Nous nous abrutissons avec complaisance dans ce vacarme, avec pour seul désir d'être regardés pour subsister. Pendant ce temps, dans l'indifférence générale, le mépris pour les minorités et notre négligence n'ont de cesse de détériorer la fracture sociale.
Si pour que nous en prenions conscience il faut que nos vies déraillent, alors il est sans doute déjà trop tard.
The Square brille par sa capacité à installer le malaise chez son spectateur. Si la sensation n'est pas aussi agréable, drôle et légère que dans les innombrables bouffonneries merdeuses où cabotine avec bonheur notre cher Christian Clavier national, ce n'est que pour renforcer la force de son propos. Quand on met les pieds dans une projection de cinéma social populaire, il faut accepter les difformités que l'ont aperçoit dans son propre reflet, et parfois prendre quelques claques.