Alors autant vous le dire d’entrée : qu’est-ce que ça me fait chier de ne mettre que 5/10 à un film aussi bien filmé !


Ah ça ! Il n’y a pas à dire : ce standard formel auquel les Coréens nous ont habitués à l’export, j’en suis plus que fan.
Les plans sont très construits, la photographie est somptueuse, le montage est maitrisé…
Pour le coup Na Hong-jin respecte vraiment cette culture du ni-trop-ni-trop-peu qui me convient formidablement bien…
Et pourtant, malgré mon adoration sans réserve face à la plastique formelle du film de Na, j’avoue que je reste encore une fois plus que sceptique à l’égard de ce qu’il raconte, ainsi qu’à l’égard de la manière par laquelle il a choisi de nous le raconter.


Déjà, pour moi, le film se coupe vraiment en deux moitiés, avec l’essentiel des choses intéressantes qui se trouvent selon moi dans la seconde plutôt que de la première.
Pour faire simple, disons que la première partie est essentiellement tournée autour de la mécanique du polar, tandis que la seconde opère progressivement un basculement assumé vers...


le fantastique.


Or, le souci selon moi, c’est que cette première partie n’est qu’une sorte de grosse introduction pour annoncer la seconde.
Les policiers tournent en rond. Les éléments de l’enquête qui nous tombent sous la dent font un peu cheap, pour ne pas dire qu'ils sont stéréotypés au possible. Quant aux personnages, ils ont une fâcheuse tendance à éviter de dire ou de faire les choses qui tombent sous le sens, juste pour permettre à l’intrigue de durer.


(Pourquoi Jong-hoo n’emmène pas sa gamine à l’hôpital dès le premier jour où ça va mal ? Pourquoi décide-t-il, alors qu’il a trouvé des preuves chez les Japonais lors de sa première visite, de repartir sans appeler du renfort et de revenir finalement quelques jours plus tard juste pour constater que ledit-Japonais a pris le temps de brûler toutes les preuves ?
Pourquoi n’arrête-t-on et n’interroge-t-on jamais les suspects dans ce foutu film ?)


Ainsi, sur un film qui dure quand même 2h36, je trouve que passer plus d’une heure-et-quart à ce régime là, c’est juste trop long.


Mais bon…
Il y a la seconde partie.
Or, celle-ci, je dois bien l’avouer, elle a su tenir l’illusion un petit moment...
Pourquoi ?
Parce que l’air de rien, même si le film commence à basculer vers un genre qui ne me plait que moyennement, la manière dont celui-ci se développe finit malgré tout par laisser planer un doute sur la réelle nature de l’intrigue, ce qui en rend soudainement le déroulement captivant.


Parce qu’après tout, c’est vrai que, pendant un long moment, on pourrait très bien se dire que…


...en fait, rien dans l’histoire n’est fantastique.
En fin de compte, tout le monde s’est intoxiqué bêtement avec des champis, et c’est le manque de rationalité et la xénophobie de cette bande de villageois qui les ont fait totalement partir en vrille sur un trip de possession !)


Dommage donc que, pour le coup, le dernier quart, pour ne pas dire le dernier tiers, mette fin à cette situation pleine d'ambiguïté.
Au contraire, « The Strangers » finit en assumant totalement son postulat de genre, et enquille les éléments récurrents auxquels nous sommes tous habitués avec le plus premier des degrés.


Mais quand même j’insiste : c’est vraiment dommage, parce que pour le coup, une fin plus ambiguë, voire plus rationnelle, aurait pu expliquer, voire même excuser, la lenteur, la vacuité, et parfois même le ridicule de la première partie.


(Je m’explique : si la démonstration du film avait finalement été de démontrer que toute cette aventure ne reposait que sur la stupidité des gens peu rationnels, alors dans ce cas, ça serait devenu logique que l’intrigue patine à ce point, et ceci justement à cause du manque de rationalité des personnages !)


Seulement voilà, à la fin, donc rien de tout ça, et c’est juste triste.
Je m’étonne même que Na Hong-jin entende à ce point assumer le caractère premier degré de son intrigue jusqu’à la fin parce que, pour moi, ça a eu quand même deux conséquences négatives.


La première, c’est que ce choix de conclusion n’a finalement rien révélé de véritablement intéressant de cette intrigue :


(Que dois-je tirer de la pauvre aventure de Jong-hoo ? Que les fantômes ce n’est pas gentil ? Que de toute façon la police et la médecine ça ne sert à rien face à des fantômes ? Qu’être rationnel ou irrationnel bah finalement on s’en fout parce que ça ne change rien à la damnation ?)


Et puis, deuxième conséquence négative, ce choix de conclusion rend aussi l’histoire incroyablement incohérente avec elle-même...


(Visiblement, on nous dit qu’à la fin, celui qui prend les photos sur les scènes de crime c’était le chaman. Ces mêmes photos qu’on retrouvait donc chez le démon japonais… Bref, le fantôme de jeune-femme avait raison depuis le départ : le mal c’était le Japonais, et le chaman était donc de mèche avec lui !
Mais alors, dans ce cas, pourquoi le chaman a-t-il cherché à jeter un sort à ce même démon quelques dizaines de minutes plus tôt ?
Parce que bon, il ne semblait pas faire semblant hein ! Chaque coup de maillet à quand même manqué de l’occire le petit père !
De même, si au final c’était le démon qui refilait des maladies aux gens pour les punir de leurs fautes, pourquoi alors s’en être pris à Jung-hoo qui a toujours été le gars le plus rationnel du village ?
C’est quand même le dernier gars qui ne succombe pas à l’envie d’accuser à tort le Japonais parce qu’il est Japonais. Et quand il s’en prend au Japonais, c’est quand même après avoir retrouvé des preuves ! …des preuves que l’intrigue confirmera comme étant valides à la fin du film puisque le Japonais sera bien le démon recherché par tous !
Non mais franchement, ça n’a pas de sens !)


...
Bref, en fin de compte, si le film avait su se faire plus court dans sa première moitié, plus sobre aussi, et qu’il avait su adopter une lecture plus distanciée et plus second degré dans sa deuxième partie, alors il aurait pu prendre du sens, voire même devenir très intéressant.
Le pire, c’est que tout au long de ce métrage, on sent que Na a bien identifié ces enjeux là et qu’il joue même parfois avec...


(…et il le fait particulièrement bien en tournant subtilement en ridicule la cérémonie d’exorcisme par quelques simples effets de montage bien sentis).


Mais au final, au lieu d’emprunter pleinement cette voie là, il préfère bifurquer dans un autre sens et pleinement assumer son trip jusqu’au bout.


En soi, assumer son trip jusqu’au bout, ça ne me dérange pas.
Mais là, ça se traduit par une accumulation exagérée de toutes les figures possibles et imaginables qu'on puisse associer à ce genre.
Ça se bouscule tellement que ça n’a plus de sens.
C’est juste trop.
Ça manque clairement de mesure.
Et pour le coup je trouve ça vraiment dommage de tomber dans cet écueil là.


Quel paradoxe que de celui de savoir mesurer ses effets et sa narration d’un point de vue visuel et sonore et de ne pas savoir le faire au niveau de l’intrigue.
Alors bon, c’est triste de bouder ainsi un film coréen en ces périodes de vaches maigres, mais d’un autre côté, j’avoue qu’il est bien difficile de travestir ce que fut la réalité de mes sentiments à l’égard de ce spectacle plus que perfectible.
« The Strangers » a des qualités. Il avait de quoi être un bon divertissement...
Mais bon, parfois, trop c’est juste trop…
...Et c'est quand-même ballot de se planter pour en avoir fait trop plutôt que pas assez.
Comme quoi gâcher, ce n'est vraiment pas une bonne idée.

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le 19 sept. 2017

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