Cette histoire semble démarrer comme n’importe quel type de polar tel que les sud-coréens savent le faire : une ambiance lourde, pesante, mise en scène avec ardeur. Jong-goo, le policier, se met à la hauteur des spectateurs et semblent rapidement dépasser par les évènements. « The Strangers » marquent rapidement les esprits avec la nature sauvage de la scène de crime, sa tension palpable et le sentiment que quelque chose de plus terrible encore va arriver. C’est à ce moment précis que Na Hong-jin déploie sa patte : le récit va rapidement se complexifier pour multiplier les péripéties, les révélations, les personnages et les retournements scénaristiques. Du thriller noir, on passe rapidement du drame à l’humour grotesque, au fantastique ou à l’horreur. Tout cela empreint d’un mysticisme bien prégnant, dû évidemment à la teneur du mal et sa représentation.
A tout moment « The Strangers » pourrait basculer dans la confusion, dans le remplissage ou l’hystérie mal maîtrisée. C’est sans compter le travail monumental de montage ou de la mise en scène s’adaptant à un rythme tour à tour lancinant et brutal. L’exigence de l’écriture n’est pas en reste, offrant au final un spectacle saisissant. Quelque chose de primitif se dégage, une force démoniaque est catapultée, comme si les forces du mal siégeaient sur ce village montagnard. Le rapport au fantastique rappellera « L’exorciste » de William Friedkin, à savoir un basculement perpétuel entre réalisme sordide et ténèbres suggérées. La scène du chaman lançant un sort au japonais reste une des séquences les plus impressionnantes vues récemment. Elle résume à elle seule le travail visuel et sensoriel du cinéaste sud-coréen.
Joong-goo, finalement maladroit et bouffi, subit ce voyage vers l’enfer comme tous les habitants du village. Leurs actions et leurs décisions auront un impact sur la suite des événements, relançant ainsi constamment l’intérêt de l’histoire. Na Hong-jin évite du coup une passivité des personnages qui auraient pu plomber le film. Aucun moralisme ou jugement, c’est justement la foi qui peut leur montrer le chemin de la délivrance. Surtout la foi en l’Homme et en sa capacité de jugement. Une valeur défendable par principe mais qui sera constamment ébranlée, engendrant des actions parfois aussi contestable que les forces qu’ils affrontent. La nature humaine est finalement encore au cœur d’un film sud-coréen.
« The Strangers » est une impressionnante démonstration de force d’un cinéaste qui n’a pas fini de surprendre. C’est une expérience intense, secouante et même bouleversante à sa manière. Le film offre une vision viscérale unique, jouant avec les codes du genre pour mieux les tordre, sans oublier d’avoir une connotation sociale voire philosophique de la place de la croyance, de la foi ou du folklore dans le quotidien des Hommes. Le cinéma sud-coréen se montre rarement, mais quand il le fait il n’a quasiment pas de concurrent. Avec Bong-Joon Ho et Park Chan-Wook, Na Hong-Jin s’imposent comme un des réalisateurs les plus importants de sa génération.
« The Strangers » est donc une vision obligatoire pour tout amateur de film fou, singulier et prenant le temps de vous emmener dans une danse avec le diable. Laissez vous perdre dans les méandres d’une histoire qui n’a pas fini de vous secouer et d’ébranler chacune de vos certitudes. Pour les connaisseurs, vous en voulez encore ? Cela tombe bien, un autre polar, précédé d’un bon buzz à Cannes, arrivera dans les salles en août prochain : Le Gangster, le flic & l’assassin de Lee Won-Tae. Une autre gifle ?