Préquel et remake, quelle drôle d'affaire.

Il fallait être courageux pour se lancer dans un remake du chef-d'oeuvre de Carpenter, le mythique The Thing, en l'appelant, en plus, du même nom que le remake du remake du film de 1951, The Thing from another world. Surtout quand on connaît le destin funeste des autres remakes des films de Big John, The Fog en tête de liste. Entreprise périlleuse, donc, de s'attaquer à ce que beaucoup considèrent à juste titre comme un intouchable du cinéma de science-fiction horrifique.


Pour les rassurer (quoi que), le titre de préquel est apposé : cachez-vous derrière pour vous rassurer, il sert principalement comme moyen de titiller vos esprits nostalgiques. The Thing 2011 est et restera un remake purement opportuniste, qui n'apporte rien à l'oeuvre d'origine. Certes, mais quand on sait cela, qui n'était d'ailleurs pas foncièrement compliqué à deviner, que vaut-il réellement en tant que film ?


Il sera compliqué, bien sûr, de l'aborder sans se consacrer à la question de la fidélité avec le film d'origine : s'il respecte bien la composition du camp norvégien au moment où Russell et son équipe le trouveront, c'est dans la reproduction du comportement de la créature qu'il cabotine complètement. A l'instar d'Aliens le retour, il privilégie l'action à l'horreur pure, le face-caméra gore constant à la suggestion bien dosée de l'original.


Pas de problème, c'est une nouvelle vision de la chose. Pour Aliens, du moins, qui se déroule presque 60 ans plus tard, avec une autre manière de fonctionner des xénomorphes ainsi qu'une chaîne alimentaire bouleversée. The Thing 2011 se débrouillant avec la même créature que celle du film de Carpenter, le changement de comportement entre les deux ne trouve aucun autre sens que celui de l'évolution de l'époque et des attentes du public (extrinsèques à l'oeuvre, donc) : passer d'un monstre stupide, incapable de se dissimuler efficacement pour contaminer ses proies sans que les autres ne s'en rendent compte, au génie de la tromperie que même Kurt Russell ne pourra que difficilement mettre à mal, cela en à peine deux jours témoigne du changement d'envies du public cible, plus dirigé adolescents qui attendent de l'action et du sang.


La scène où Kate Lloyd (campée par l'impeccable Mary Elizabeth Winstead) est isolée du groupe par l'autre personnage féminin de la bande (totalement oubliable) est révélatrice de la nouvelle visée de la franchise The Thing : tournée avec d'étranges airs du The Faculty de Robert Rodriguez (impression qui se retrouvera lors des attaques du monstre, jusqu'à son design très tentaculaire/lovecraftien et bien baveux), elle privilégie la tension et le gore à l'épouvante suggérée d'un sentiment de paranoïa suffoquant.


Et le numérique remplaçant les effets spéciaux "manuels" de *Rob Botti*n. Pour beaucoup, c'est là que le bât blesse : en effet, The Thing perd une partie de sa saveur et de son âme du fait de l'utilisation trop récurrente d'effets 3D certes réussis, mais bien moins "réalistes" que les assemblages au système d du maquilleur de 23 ans. C'est qu'ils sont envahissants, en plus : comme s'ils étaient fiers de leur rendu, les gars nous en balancent de partout, de toutes les formes, de toutes les couleurs. On croirait presque voir une version horrifique du générique des guignols de l'info.


Il n'est donc plus question de discrétion, de surprise ou de suggestion progressivement levée : The Thing montre tout du début à la fin, quitte à rendre sa créature complètement débile et ses personnages pas bien futé. Il s'emmêle aussi les pinceaux en essayant de reproduire le jeu paranoïaque qui rendit le film de Carpenter si célèbre, sans toutefois savoir comment l'organiser. La faute, premièrement, à son développement de personnages inexistant : on a du mal à ne retenir ne serait-ce que leur nom. N'évoquons pas la vaine tentative de se souvenir de quelque chose qui les caractériserait; c'est impossible de se remémorer le moindre élément particulier de chacun d'entre eux.


Perdu sans savoir qui est qui et qui fait quoi, il paraît impossible de suivre un jeu de pistes visant à déterminer les contaminés des êtres sains qui un coup massacre une victime sous les yeux des autres personnages, et l'autre fois prend la place, en hors champ, d'humains bien suspects en laissant l'impression que cela sert surtout à créer des rebondissements artificiels à un scénario qui ne sait pas gérer son côté huis-clos : ce va-et-vient incertain de s'il doit privilégier la discrétion du premier ou partir dans sa propre direction, faîte d'action et de gore de premier plan, détruit tout enjeu horrifique, et le film, s'en rendant compte assez rapidement pour faire machine arrière, va décider de plus axer son déroulé sur de l'action pure et dure que sur la maestria mystérieuse de 1982. En gardant, bien sûr, les passages forts du premier : ceux là, repris avec une certaine imagination, perpétuent l'illusion de suivre un long-métrage fidèle mais désireux de trouver ses propres marques.


Ces marques, situées du côté du divertissement primaire, le rapprochent ainsi plus d'Alien vs Predator que d'Aliens, que je citais précédemment : dans sa perte d'âme due au numérique et à la volonté de faire toujours plus spectaculaire avec une tonne de personnages tous destinés à se faire ouvrir la gueule face-caméra, dans ses personnages-fonction plus ou moins débiles et supportables, jusqu'à sa photographie bleue-blanche pas bien profonde et qui termine de le ranger du côté des films d'action horrifique sans aucun charme.


Est-ce gênant, outre pour son scénario, que cette version 2011 ait décidé de prendre à revers une partie des attentes du public pour lui proposer quelque chose d'un peu différent, du moins d'inattendu? Reproduire l'horreur paranoïaque de l'original étant une cause perdue d'avance, proposer un divertissement explosif et sans temps mort était la seule alternative qu'il restait à Matthijs van Heijningen Jr. (réalisateur). Pour ne pas se faire ouvrir à juste titre par un public amoureux du travail de Big John, il fallait la passer à la moulinette du nouveau siècle pour ne pas la dénaturer : l'idée de préquel, assumée jusqu'au-boutisme, est respectée avec un talent certain, au point de compléter l'univers de la chose avec une cohérence réjouissante.


On ne peut, à la fin, s'empêcher d'éprouver une certaine empathie à l'égard du réalisateur : tentant de proposer quelque chose de différent tout en devant respecter la volonté contradictoire des studios (faire un remake qui soit en fait un préquel d'un film culte), van Heijningen Jr. se dépatouille autant qu'il peut avec un scénario qui ne laisse aucune place à la dimension humaine et claustrophobe de ce qu'est censé représenter The Thing, incapable qu'il est de faire autre chose que de tout faire péter dans la neige.


En témoigne le nombre hallucinant de fois où la chose est nommée comme telle, comme s'il fallait rappeler au public qu'il est bien en train de regarder un nouveau The Thing, pas un film d'horreur à tendance pétaradante grandement inspiré du remake de 1982. Même si c'est un peu ce qu'il est. A le voir, il est dur de ne pas se dire qu'il a dix ans de retard : il reproduit, en certes mieux, le schéma d'Alien vs Predator, et se faisant dans une explosion d'hémoglobine et d'action décomplexée, propose un divertissement sans temps mort sorti dix ans trop tard.

FloBerne

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