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A la lueur d’une douce nuit des années 50 américaines, deux jeunes amateurs de radio vont intercepter une fréquence étrange qui va les mener vers une découverte mystérieuse. Avec ce bref résumé, Amazon vient de signer là, un film de science-fiction très intelligent et épuré, c’est-à-dire sans pour autant faire usage de beaucoup d’effets spéciaux. A l’image de Ufo de Ryan Elsinger, ainsi que Monsters de Gareth Edwards ou bien 10 Cloverfield Lane de Dan Trachtenberg, The vast of night s’inscrit aussi dans la même lignée que ces prédécesseurs ont réussis à faire, prioriser l’histoire en mettant en relief l’idéologie historique, politique et culturelle au dépens d’un surplus scénographiques d’effets spéciaux qui masquent souvent la pauvreté d’un scénario.
« Montrer moins, pour pouvoir en parler plus », cette maxime sied parfaitement à la prouesse de ce nouveau cru des studios Amazon. Des acteurs quasiment inconnus du grand public, mais à la faveur d’une mise en scène qui n’est pas sans rappeler au début du film, le générique de Twilight zone (La quatrième dimension), série américaine éminemment culte de la fin des années 50 justement.
L’inspiration art-déco des années 50 d’un salon meublé d’une télévision en noir et blanc, fait parfaitement l’affaire en convoquant avec elle, tout le poids du contexte historique de ces années d’après Seconde Guerre mondiale, afin d’inviter le téléspectateur à s’imprégner de ces moments ludiques partagés en famille devant une émission fantastique et étrange.


Ainsi, le film est présenté par une voix off rustique, comme l’épisode d’une fameuse série imaginaire intitulée « Paradox Theater », (le théâtre du paradoxe). Cette mise en abyme permet d’emblée au réalisateur, de convoquer chez le téléspectateur ce sentiment suspicieux face au scepticisme cartésien représenté par le discours conflictuel ambiant de la Guerre froide. On n’y prête guère attention au prétexte soviétique puisqu’on se doute pertinemment que le thème narratif du film nous amène tout droit vers les ovnis. Cela dit, la manière dont le réalisateur nous propose ce méta-film, permet de brouiller les pistes quant à la véracité de cette histoire. En effet, on se demande vraiment si cette histoire est une fiction ou tirée de faits réels ? Ce procédé tend à donner un reflet sociétal, historique, fictionnel et ludique à travers la culture populaire américaine.
Cette ville de Cayuga apparaît alors comme une parfaite allégorie de l’image bucolique d’une petite ville rurale américaine sans histoire où tout le monde se connaît. Aussi, on peut dire que c’est souvent dans ce genre de ville que des histoires étranges se déroulent lorsqu’on se penche sur des faits avérés. Par ailleurs, il me semble avoir remarqué une sorte de référence linguistique lorsqu’on examine littéralement le nom de la ville de Cayuga, on se rend compte que c’est une langue iroquoise, donc amérindienne. Du coup, on peut constater qu’il y a une dimension spirituelle, culturelle et historique au niveau de cette empreinte linguistique. A partir de là, on se dit que c’était une volonté narrative et scénaristique de choisir cette petite ville pour faire référence à l’énigmatique fréquence qui sert d’intrigue dans ce film. C’est-à-dire que pour décoder et comprendre cette fameuse fréquence qui vient des étoiles, on aura recours à une langue inconnue qui ressemble étrangement à une langue amérindienne.


Le levier culturel découlant de cette langue Cayuga permet au scénario de faire un lien direct avec le nom de la ville. Car n’oublions pas que les Natives, comme les Mayas croyaient religieusement aux extraterrestres et de plus, considèrent ces derniers comme des Dieux.

La dimension spirituelle dans ce film est traitée de façon un peu mystique, comme si le langage découvert dans cette fréquence radio avait un pouvoir chamanique permettant aux hommes de se connecter aux extraterrestres. On peut citer par exemple, l’enregistrement de la voix de la dame censée aider Fay et Everett à résoudre leur énigme, parlant dans une langue bizarre et qui va mettre dans une sorte de transe, le couple venu aider les jeunes amateurs de radio dans leur voiture. Cette réaction soudaine assez flippante du jeune couple, les amène à lever la tête vers le ciel en même temps dans un rythme et une lenteur presque chorégraphique, comme s’ils étaient sous l’effet de l’hypnose et qui n’est pas sans rappeler l’histoire de la vieille dame, qui avait aussi observé la même attitude chez son enfant disparu lorsqu’il entendait ces mots venus d’ailleurs.
Ces réactions étranges nous plongent dans un mysticisme qu’on a encore du mal à nommer. Et c’est sans doute là la force du film, parvenir à nous émouvoir seulement par les témoignages apportés par les différents protagonistes du film.
En somme, nous pouvons dire que les histoires racontées par le fameux Bill et MaBelle Blanche, sont tout aussi passionnantes que l’histoire du film elle-même. Cette énième mise en abyme met en évidence un discours qu’on qualifierait de complotiste, visant le gouvernement et surtout l’armée des USA, ainsi que les extraterrestres.


On remarque aussi le relent très avant-gardiste du discours de la jeune Fay. Elle cite des articles et des revues scientifiques qui vont montrer à quel point la technologie américaine était en avance sur son époque, puisqu’on annonce dans un futur proche les avènements du GPS dans les voitures, des voitures autonomes, du Smartphone et des trains à très grande vitesse. On peut y voir un moyen de mettre en évidence la supériorité technologique des USA et c’est aussi une façon très subtile de s’adresser au public, car au-delà du cinéma de science-fiction, la réalité peut vraiment dépasser la fiction. C’est en quelque sorte un message qui vient semer définitivement le doute chez le spectateur à l’imagination débordante, par un certain pragmatisme acerbe, parce que la construction narrative de cet énième film sur les ovnis, ne fait qu’alimenter le doute, les suspicions et le scepticisme sur la réalité des faits qui sont abordés. Bref, on est droit de se demander si les témoignages sont tirés de faits réels ?
Le premier témoignage de l’ancien GI Bill, nous absorbe complètement, de par sa clarté et aussi par son éloquence impérieuse. Cette situation ressemble évidemment à plusieurs révélations faites par des anciens responsables de l’Armée américaine, qui attendent leur retraite pour pouvoir dévoiler certaines choses, très souvent classées « secret défense ».


Ensuite, le deuxième témoignage nous fait entrer carrément dans le paranormal. En effet, la rencontre avec Mabelle Blanche s’avère cruciale dans le film car elle permet de nous faire basculer dans une atmosphère surnaturelle. Sans pour autant faire usage d’images science-fictionnelles, la finesse du scénario apporte un certain attrait idéologique et psychologique dans les déclarations conspirationnistes de la vieille dame. Car selon elle, les extraterrestres manipulent les hommes depuis toujours. À partir de là, le poids des mots prend une dimension considérable et même sidérale, à en croire les histoires paranormales. Cet entretien tant attendu avec cette dame reste parmi les points culminants au niveau émotionnel, car à partir de ce dialogue très instructif, le film dérive complètement dans la science-fiction. Mais l’habileté du scénariste met en exergue le suspense qui n’a cessé de monter crescendo durant tout le long du film, de la part de nos jeunes héros, mais aussi, du public qui reste impatient de connaître la vérité et le fin mot de toute cette histoire. La véritable force du film réside dans la dramatisation narrative des dialogues qui fait entrevoir le caractère urgent de ces témoignages. A l’exception de la dernière scène du film qui laisse le spectateur bouche bée, en voyant surgir le vaisseau spatial géant, qui reste d’ailleurs, la seule scène « S-F » qu’on a eue droit jusque-là.


On peut donc retenir la volonté farouche du réalisateur de faire monter la tension, par le rythme frénétique des personnages qui s’entêtent, quitte à voler une voiture, une caméra et des bandes sonores, afin de récolter le maximum d’informations sur ce mystérieux signal. Les différentes pérégrinations de nos héros représentent à elles-seules de pures scènes de suspense, on entend par-là, que l’attention du public est davantage sollicitée pour illustrer en fin de compte, les moments forts et privilégiés de ce film de science-fiction pas comme les autres.
Le caractère invraisemblable du témoignage de la vieille dame, devient paradoxalement, un élément persuasif chez le spectateur, comme souvent dans les histoire d’ovnis, et cela intensifie la valeur émotionnelle de ces scènes qui peuvent sembler très anodines.
La banalité presque comique du côté familial et enjoué du début du film, s’oppose désormais radicalement à l’envergure transitionnelle qu’a entreprise le scénario, pour pouvoir maintenir l’attention du public coûte que coûte, puisqu’on est sevré d’effets spéciaux. Ainsi, la seule et unique manière de préserver l’émotion du public, est de nourrir l’impatience des héros en intensifiant savamment le suspense par un mélange d’histoires aussi rocambolesques que surnaturelles.


L’ambiance pittoresque et comique tranche avec la fin tragique qui nous prend de cours, puisqu’on ne s’attend pas à ce revirement tragique qui voit la disparition de nos jeunes héros, enlevés par les extraterrestres. Cependant, des questions subsistent quant à cette supposée disparition de nos personnages principaux, car on ne sait pas vraiment s’ils ont été simplement enlevés ou carrément tués après leur rapt. C’est évident que la fin laisse présumer une fin assez abominable pour ces jeunes qui avaient toute la vie devant eux et les voir disparaître ainsi, sonne un peu le glas chez le spectateur qui s’attend à tout sauf à ça. Du coup, cette petite virée dans la campagne américaine nous semble moins sympathique qu’elle en avait l’air, lorsqu’on se penche exclusivement sur la mort symbolique de nos jeunes héros.


Finalement, ce film nous rappelle qu’il n’est pas obligé de brandir autant d’artifices et d’effets spéciaux pour faire un bon film de science-fiction. La temporalité a donné un style « vintage » à ce film et a aussi permis de donner un postulat très symbolique et idéologique, dans la mesure où cette période fût très propice à ce genre d’évènements dans la réalité.
En mettant en scène le film à l’époque des années 50 - 60, on inclue toute une mythologie culturelle, littéraire et cinématographique dans l’imaginaire collectif du spectateur, qui n’a pas oublié les célèbres séries comme Star Trek, Les visiteurs, La quatrième dimension ou Les envahisseurs. En effet, ce film arrive déjà sur un terrain assez conquis, en matière de références et d’analogies bien ancrées dans le cinéma de science-fiction. La légèreté et l’humour très « ricains » de la première partie du film ont servi à amener le public à adhérer tout doucement à un sujet ô combien sulfureux, mais tout aussi passionnant que celui des extraterrestres.


Sans vouloir prétendre truster les mastodontes Marvel, on le sait aujourd’hui que la science-fiction est devenue le genre cinématographique le plus rentable, car c’est une source quasi-inépuisable. Mais l’esthétique qu’Amazon a cherchée à mettre en avant dans ce film, met en lumière le savoir-faire prodigieux du scénariste et de son authenticité conceptuelle à travers une théâtralité qui, par moment, tutoie même l’historiographie de la culture amérindienne. En tout cas, c’est une belle façon de rendre hommage à cette Amérique profonde et bucolique d’antan, en nous faisant rêver et voyager à bord d’une soucoupe volante.

Asya
8
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Créée

le 23 janv. 2021

Critique lue 478 fois

Asya

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