La presse nous l’a promis : voici le nouveau messie de l’horreur contemporaine accueilli à coup de taglines aussi nuancées que « non l’horreur au cinéma n’est pas morte », de souvenir le dernier film d’horreur qui avait bénéficié d’une aura aussi dithyrambique était le très bon It Follows, alors The Witch nous a t’il autant séduit ?
The Witch n'est pas un film d'horreur, du moins pas comme on l'entend. Ça peut sembler brutal dit comme ça mais en réalité ce n'est pas un problème du film mais de la com, puisque après avoir fait grosse impression à Gerardmer (le festival du film fantastique) le film nous a donc été vendu comme un Conjuring ou un Insidious, autrement dit comme un film d'horreur classique avec une traditionnelle menace surnaturelle qui s'amuse à tuer et faire sursauter nos héros. En réalité, le film pourrait beaucoup plus se rapprocher de Shining par exemple, c'est à dire un film à ambiance à l'ancienne, sans jump-scare, devenu l'élément quasi-indispensable aux films d'horreur moderne. Le parallèle n'est d'ailleurs pas innocent car beaucoup d'éléments renvoient aux chefs d'œuvre de Stanley Kubrick, comme la musique à base de cordes dissonantes et de chœurs stridents créant à sa simple écoute un malaise. L'histoire aussi puisque tout comme dans Shining le "surnaturel", bien que son implication soit discutable dans le film de Kubrick, n'est pas le cœur du problème mais l'accélérateur de la dégradation psychologique des personnages. Au final, la sorcière du titre n'est pas la véritable menace et dans les faits elle n'agira quasiment pas du long-métrage. La psychologie des personnages est vraiment le centre de l'intrigue, notamment le père puritain à l'extrême, bien plus complexe que le psychorigide basique rendu habituellement à l'écran. Et le rendu à l'écran parlons-en puisque le film est sublime que ce soit la lumière entre le ciel grisonnant poisseux et le clair-obscur lors des nuits éclairées à la bougie rappelant des tableau comme Les Pèlerins d'Emmaus ou Le Nouveau-né de George Delatour. Comme dans ces tableaux, la lumière et les ombres sculptent l'image créant ainsi une puissance lyrique à chaque plan. La réalisation quant à elle, parvient à capter toute la puissance de l'image par le biais de cadres très picturaux et symétriques rappelant encore une fois le style de Kubrick. Ainsi le réalisateur privilégie les longs plans, laissant l'ambiance filtrer par l'écran, mettant ainsi en avant la tangibilité de la matière à l'écran. Que ce soit la boue ou les arbres, on ressent leur présence.
Mais alors pourquoi il ne fait pas peur ce film qui réussit pourtant à cultiver de manière exemplaire une ambiance putride et inquiétante ? Et bien contrairement à un film comme Shining où les éléments inquiétants sont dispersés dans le film, créant une tension tout du long qui explose dans un climax horrifique, ici la tension est tellement dilatée que l'on a l'impression que le réalisateur ne veut tout simplement pas franchir le pas et accoucher d'un film d'horreur. Son intention semble alors d'être beaucoup plus axée sur la volonté de mettre en place un drame psychologique empruntant des éléments d'épouvantes qu'un réel film d'épouvante. Mais alors ma bonne dame le film usurpe t'il totalement son statut de film d'épouvante ? Et bien d'un certain point de vue non car la véritable horreur du film se tapie dans la psychologie des personnages. En effet, The Witch, avec le rôle central de la foi dans l'intrigue et la construction de ces personnages, peut se voir comme un film d'horreur religieux. Mais et L'Exorciste ou Conjuring me direz-vous ? Et bien dans ces films, la religion est un prétexte pour justifier la menace et la résolution de l'intrigue. Dans The Witch elle est le fond même de la peur des personnages, car comme It Follows était une variation sur le slasher des années 80, The Witch propose un nouvel angle sur le film opposant une menace surnaturelle à une famille proprette. Sauf qu'ici la famille est beaucoup trop proprette car virée de la colonie en raison d'un excès de zèle puritain et la menace de la sorcière sera une présence latente accélérant la désagrégation de cette famille instable, n'offrant pas de réel climax horrifique. Ce puritanisme est d'ailleurs un élément crucial du film puisqu'une bonne moitié des dialogues est constituée de prières parce que chaque élément du quotidien est vu au travers de la religion. Dans un film d'horreur classique on s'identifie au personnage et la peur vient de la menace de mort imminente qui guette les héros. Ici, la subtilité est qu'il faut entièrement pénétrer la psychologie des personnages pour saisir la dimension horrifique. En effet, ce dont les personnages ont vraiment peur c'est d'avoir été abandonné par Dieu et d'être punis pour l'éternité, la menace est donc bien plus d'ordre spirituelle que physique. En somme, il est impossible de comprendre les véritables enjeux et la véritable tension du film si on ne fait pas l'effort de voir le monde et les événements par un prisme ultra-puritain. Une fois ce point de vue adopté, on saisit alors les dilemmes et les horreurs qui assaillent les personnages, car la sorcière est bien plus une menace envers leur foi qu'envers leurs vies directement. Autant dire que le public visé par la com' du film, qui s'attend à voir un nouveau Conjuring, risque d'être déboussolé. Pourtant le film adopte l'horreur d'un point de vue très intéressant, quasi inédit et même si ces considérations théologiques vous en touchent l'une sans faire bouger l'autre, la technique impeccable du film vaut vraiment la peine de se précipiter voir The Witch.