Il y a un film de Cavalier que j'utilise partout où je dois parler de cinéma, que ce soit à l'écrit ou à l'oral : La repasseuse. Ce petit morceau de pellicule contient selon moi à peu près l'essence du cinéma, sa force, ses formes et ses contours.

Tailler dans le blanc, tirer des formes d'un bloc lisse, c'est tout l'art du sculpteur. Cavalier artisan de cinéma est un sculpteur. Mais ses formes et ses courbes ne portent pas les balafres du burin, au contraire il ne demeure plus sur ses visages, ses murs, ses objets, ses animaux, que la caresse du pinceau.

Je voudrais savoir dire la douceur de Thérèse, mais c'est aussi difficile que de parler des globes de marbre qui font l'oeil d'une femme taillée par Claudel. Lisse et blanche, la pierre est encore dense d'une humanité qui se refuse aux mots. Je dirais seulement que des objets, des mains, des visages, tour à tour, cinématographiés, c'est-à-dire pris dans le filet intransigeant du mouvement, enfermés dans l'immobilité du cadre, les sourires qu'on ne peut que voir, les lacets qu'on voudrait refaire, les mains imposant leurs errements sans but, sont autant d'éléments d'une vie profonde, miraculeuse, grandiose et minuscule à la fois.

Les soeurs, bonnes ou vraies, fiancées ou épouses, aimant Jésus ou ne l'aimant pas, ne sont jamais tout à fait silencieuses, jamais tout à fait bavardes, mais au seuil, c'est-à-dire qui chuchotent leurs amours curieuses, qui blasphèment en éventrant la sardine, qui souffrent pour un homme, dont on ne sait plus s'il est mort depuis deux-mille ans, ou s'il vit encore tellement qu'il a pu retirer l'hymen de certaines de ces vierges. Toutes ces femmes sont Thérèse, aspirent à la naïveté et à l'intelligence sans mesure de Thérèse. De la peau de vache à l'amie fidèle, toutes ont peur des clous, toutes méprisent un peu par-ci, par-là, les vieilles filles, ou bien les hommes. Thérèse n'a pas peur des clous, Thérèse est courageuse jusqu'au sang, et même jusqu'à la plante des pieds, mais surtout, Thérèse ne connaît rien que la joie, l'imbécilité divine accordée aux coeurs les plus simples, les plus dénués d'intelligence, en d'autres mots, cela-même qui constitue la forme la plus contrefaite et la plus parfaite de l'humain. Thérèse est cette effigie, ce totem, cette sainte qui a su mêler à la fadeur la plus suprême, la passion la plus absolue. L'amour, mais l'amour discrètement.

Pourquoi j'aime Cavalier? Son jansénisme? Ses filles idiotes? Parce qu'il est peut-être le seul, avec Dreyer, à avoir rendu possible la confusion d'un mur blanc et d'une éruption volcanique.
Rozbaum
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le 11 déc. 2012

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