Pour Terranova, prêtre séquestrant un prostitué transsexuel, la copie est toujours plus parfaite que l’originale et lorsque les imperfections masculines vont prendre le pas sur les traits parfaits de la femme que semblait être Tiresia, il va alors changer de regard sur lui, pour l’abandonner tragiquement et lâchement. Dans Tiresia, au sens propre comme au sens figuré, tout n’est qu’une question de regard et de hauteur, sur ce qui nous appartient, sur notre destinée ou ce qui vient à nous. A la fois abrupt pour dévisager les corps nus et sensible pour transpercer les questionnement de ses personnages, Tiresia laisse une drôle d’impression au spectateur car l’œuvre de Bonello, qui mélange trouble et sensualité, est à la fois gracieuse et disgracieuse à l’image de ce plan séquence mettant en scène cette ribambelle de prostitués sur le périphérique. Bonello se joue des symboliques religieuses (pute et prêtre) et des mythes (double identité sexuelle) avec des idées de cinéma toute simple comme celle de couper son film en deux, entre clair-obscur, aveuglement et lumière perçante. Dans une deuxième partie, plus mélancolique et rurale, Tiresia se retrouve aveugle à cause de son malfrat et rencontre la jeune et muette Anna. Dans un paysage diurne, il ressent enfin une certaine sécurité, une vérité qui vient à lui.

Il n’essaye pas de comprendre, mais laisse faire la destinée, il ne sait pas ce qu’il est ou ce qu’il lui appartient d’être mais c’est comme un apaisement mais aussi un fardeau de devenir une sorte d’Oracle. Il y a une austérité, qui rend le tout mystique dans ce décorum réaliste et naturaliste. On pense à Sombre de Grandrieux quand Terranova rode dans les bois à la quête de la perfection ou lors de cette séquestration presque claustrophobique, puis dans cette deuxième partie, on pense au style Bressonien avec cette austérité et ce minimalisme avec ces hommes et femmes fracturés aux regards vides et à même le sol. Bonello n’a pas besoin de rentrer dans une narration ultra poussée sur ses personnages, pour que l’on ressente cette gravité et cette émotion qui se dégage en chacun d’eux, comme le prouve l’énigmatique Laurent Lucas. Tiresia n’est pas parfait et semble parfois tourner en rond avec cette fâcheuse tendance à se répéter tant dans sa première partie (manger, se faire ligoter pour dormir..) que dans sa deuxième moitié (rôle de l’Oracle). Même si certaines choses nous échappent pour savoir où veut réellement en venir le réalisateur, Tirésia est un film pictural qui entrecoupe fascination malsaine et poésie presque pastorale avec un tel talent, que le film nous hante l’esprit pendant pas mal de temps.
Velvetman
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le 19 févr. 2014

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