Dire que tout aurait pu commencer par un accident de toboggan, de pédalo, de saut à la perche ? Imaginant le film à suivre, j'avais vu venir le navet XXL... Et bien non. C'est pas terrible, c'est même assez raté mais c'est pas la bouse annoncée partout. Un peu de nuance que diable. Ma séance a été plutôt attentive (je n'ai regardé ma montre qu'à 2 reprises). C'est vrai que le film n'est pas aimable, pas plus qu'il n'est fin (il a la grâce épaisse de Lindon à l'écran pour reprendre le bon mot de mon copain Sly). On s'ennuie souvent, on ressent bien trop peu de choses pour les personnages principaux mais tout n'est pas à jeter. Loin de là. Trop de musiques par exemple mais une ambition et un travail sur l'image qui vont avec qu'on peut légitimement saluer. Je pense aussi à quelques séquences réussies (la note d'humour pendant le massacre pour désamorcer, la naissance d'une tendresse entre les 2 personnages principaux, entre leurs 2 solitudes d'abord figées). Et puis les thématiques même confuses qui suscitent l'intérêt (le genre ondoyant, ondulant, l'identité flottante, l'inné ou l'acquis, l'homme et la machine, les effets du temps sur le corps, le baiser pour aimer ou réanimer. L'amour filial, l'amour tout court) avec des saillies visuelles bienvenues, des moments comme hors du temps, suspendus (la danse de l ex tueuse en série et néo fiston enrubanné sur le camion de pompier). Par ailleurs je trouve que Julia Ducournau a quand même sa propre signature, son univers à elle contrairement à ce que j'ai pu lire (elle ferait du sous-Cronenberg ou du simili-Tsukamoto). Bon mais ça ne fait pas non plus un film abouti et j'en viens à ce qui ne fonctionne pas selon moi. Dans Truismes (Darrieussecq) ou La Mouche (Cronenberg), la puissance du processus de transformation vient de ce qu'elle est organique, presque documentée et qu'elle s'inscrit dans un souci de réalisme et dans un monde qui nous est familier. C'est ce qui fait qu'on peut s'identifier, avoir peur, parce qu'on connaît ce monde qui se reflète à l'écran ou sur la page. C'est le nôtre. Or l'erreur ici je crois est que le monde est volontairement théorisé, abstraitisé (ce lieu interlope de gogo dance sur des voitures à pistons, cette co-location dans un improbable palace rococo, cette caserne de pompiers tout droit sortie du cerveau d'un enfant de 5 ans avec ses Big Jims et ses camions Playmobil grandeur nature...). La rencontre d'un corps en mutation avec des idées et des lieux vidés de leurs substances, sans ancrage ni cohérence fait qu'on finit par ne plus croire à grand chose surtout lorsque le film essaye de remettre des mots et du réalisme dans la bouche (le discours de la mère incrédule à Adrien, Le "Je t'aime" d'Adrien à son père d'adoption, les vains mots du commandant à son équipe) et dans les intentions (le jeune pompier qui s'herculopoirise juste le temps de finir zigouillé ni vu ni connu) de personnages plus efficaces dans pareil contexte quand ils ne disent rien. Tout tombe à plat et c'est bien normal. Puisque rien n'existe. Il aurait fallu que tout l'univers autour soit familier, que même les incroyables invraisemblances (elle passe entre les mailles de tous les filets de la raison et devient le fils du pompier de service par quelques ellipses et tours de passe-passe pour le moins faiblards) soient triturées, confrontées (hallucination collective ?) pour que le spectateur puisse enfin rentrer dans le film. Si 2 monstruosités sont mises en valeur sur un fonds déjà difforme, rien ne peut ressortir hélas : On est ton sur ton. Le spectateur se coupe du film, l'absence d'un cordon ombilical en cause entre les personnages et le monde qui les a enfantés. En l'état malgré des idées intéressantes, il manque donc à Titane l'essentiel : de la chair. Et en matière d'interrogation sur le vivant, sur la transformation du vivant, c'est quand même le comble !

Créée

le 5 août 2021

Critique lue 275 fois

Critique lue 275 fois

D'autres avis sur Titane

Titane
Wlade
2

A tout déconstruire, rien ne reste

"Merci au jury de reconnaître avec ce prix le besoin avide et viscéral qu'on a d'un monde plus inclusif et plus fluide, d'appeler pour plus de diversité dans nos expériences au cinéma et dans nos...

le 12 mai 2023

174 j'aime

16

Titane
AmarokMag
4

Metal Hurlant

Tout comme Grave, entrée en matière plus remarquée que véritablement remarquable, Titane le deuxième long métrage ultra-attendu de Julia Ducournau se faufile dans la catégorie des films “coups de...

le 18 juil. 2021

131 j'aime

8

Titane
micktaylor78
7

De la haine à l'amour

Découvrir le deuxième long métrage de Julia Ducournau tout juste auréolé de la Palme d’Or à Cannes a forcément un impact sur son visionnage et l’attente que celui-ci peut susciter. Car si on...

le 20 juil. 2021

123 j'aime

42

Du même critique

Parents
Romain_Eyheramendy
6

Critique de Parents par Romain Eyheramendy

Brillant petit opus horrifique sans prétention dont l'action se situe au coeur des années 50. Parents allie à merveille le cynisme, la mélancolie, et un regard décalé sur les ravages de la routine...

le 31 janv. 2016

4 j'aime

Zodiac
Romain_Eyheramendy
8

C'est en toute chose le chemin qui importe

Excellent film, longuet il est vrai, mais passionnant sur le soin apporté à la complexité des personnages principaux (qui sont nombreux) et curieusement pas vraiment sur la chute (qui d'ordinaire...

le 20 janv. 2016

3 j'aime

Pulsions
Romain_Eyheramendy
8

Critique de Pulsions par Romain Eyheramendy

Monument du thriller horrifique, Pulsions est ce que De Palma a accouché de plus fort en la matière dès lors qu'il ne se contente pas de revisiter brillamment, à sa façon, les éternelles névroses...

le 3 févr. 2016

2 j'aime