Il est très difficile, face à un film qui a plus de 20 ans de popularité, de l’aborder sans se mettre à dos un ou plusieurs camps, encore plus quand il divise davantage auprès des cinéphiles qu’auprès du grand public qui retient le plus souvent ce qui est visible à l’écran et non pas ce qu’il y a derrière. Titanic, le film catastrophe de la fin des années 90 en est une des plus belles représentation : succès commercial sans précédent, consécration aux Oscars, une histoire d’amour qui a émue et fait pleurer plus d’une demoiselle quand elle n’est pas moqué par les réfractaires, Céline Dion qui l’est aussi, ou l’image de caricature de blockbuster par une partie du public qui réduise Titanic à ses effets visuels ahurissant et au naufrage du paquebot. Mais ce n’est pas les défauts qui m’intéressent, ce pourquoi je m'y attarde à mon tour : c’est pour l’immense portée sociale et humaine que ce paquebot filmique transporte à son bord, sous la houlette de son réalisateur aux avis et impressions divergents.


James Cameron, c’est un aventurier du septième art. Qui s’est taillé une réputation de cinéaste du grandiose en partant comme un bricoleur plus que dégourdi avec Terminator avant de devenir un auteur liant à la fois classicisme dans la forme et sous-lecture enrichi dans le fond par le soin exceptionnelle qu’on retrouve aussi bien dans un Avatar qu’ici. Et parallèlement ses tournages incroyablement houleux, son manque de considération pour la sécurité d’autrui dans les cas les plus extrêmes et sa quête d’innovation technologique lui ont apporté aussi bien du respect que de la rancœur (rancœur qui n'est peut être éternelle puisque Kate Winslet, qui s'était promise de plus jouer pour Cameron après Titanic, reviendra pour Avatar 2). Mais ça reste un réalisateur sachant sublimer son sujet quand il s’engage dans une grande odyssée, surtout lorsqu’on considère ici les éléments un à un et comment ils fusionnent.


Titanic, c’est un immense bateau que la caméra, libre comme jamais, filme comme une représentation du monde ou un vaisseau partant pour un monde meilleur. Et ce dans un microcosme ou haute société, gens du moyen peuple ou petit peuple, vagabonds, voyageurs en quête d’un avenir meilleur et moult individus de diverses nationalités se partagent la cohabitation. Bien loin d’un vulgaire fourre-tout puisque ces classes trouvent leurs représentants à travers des protagonistes aussi bien fictifs que réel, cette démarche se confirme dés l’inauguration du départ du Titanic sur Leaving Port tiré de l’incroyable et légendaire musique de feu James Horner.


Avec son format d’image en 2.35 : 1, James Cameron tire profit de la largeur de ses plans pour embellir et iconiser le Titanic sous tous les angles et points de vue. De celle de Rose et Caledon jusqu’à celle du bar ou Jack se trouve un premier temps, en passant par l’intérieur avec ces déplacements libérés de toute contrainte : l’immense paquebot devient l’équivalent d’un paradis fantasmé par tous ou, pour être moins prétentieux, d’un point de départ vers ce paradis avec ses élus issus de divers milieux. On peut évoquer l’idée du rêve américain mais ça n’est pas l’idée essentielle que je place au premier plan personnellement (pas la destination précise en tout cas) : ici, c’est une représentation du monde à petite échelle sur un bateau divinisé par la caméra et montrée comme un paradis sur terre dans la forme.


Une fois cette présentation faites, James Cameron va faire peser le doute petit à petit sur ce voyage et son image. Et c’est là que nos futurs tourtereaux prennent leur importance : d’un côté, Jack, devenu un fantasme pour toutes les midinettes (avoir le beau minet hollywoodien de l’époque Léonardo Dicaprio dans le rôle ça aide aussi), sans le sou et ne sachant jamais de quoi son lendemain sera fait mais libre de ses choix et d’aller ou bon lui semble et clamant haut et fort sa liberté. De l’autre, Rose, issue d’un milieu aisé mais à la vie toute tracée sans que son avis ou ses paroles ne soient considérés, et qui voit ses idées progressistes être au mieux contredit (son amour de l’art moqué par son exécrable futur époux) ou au pire totalement ignorés par son milieu ou presque (les études de Freud). Il serait erroné de limiter leur histoire d’amour à une simple confrontation des classes, surtout que l’une n’a rien de particulier contre le petit peuple et l’autre parle face à elle (de dos la première fois plutôt) d’égal à égal sans se préoccuper de son rang social. Tout ce qui touche à cet aspect ressort de la vision des personnes extérieures à leur relation : notamment Beckley et la mère de rose ou les compagnons de voyages de Jack se voulant terre à terre.


Là ou la relation entre Jack et Rose est belle et forte, c’est dans comme toute belle histoire d’amour quelque soit le média : c’est ce que l’un apporte à l’autre, comment il l’apporte et comment découle cette connexion entre eux. Ce que Titanic a très bien compris, au lieu de foncer sur un territoire fleur bleue et mielleusement niais comme beaucoup l’imaginent à tord. A 1 ou 2 échanges près, leurs dialogues sonnent naturels, l’alchimie entre une Kate Winslet ignorante mais désireuse d’ouverture et un Léonardo Dicaprio bienveillant comme jamais est totale, et leur passion commune pour l’art et leur désir de liberté se ressentent fortement. L’un a pleinement conscience de sa position et de sa condition (le repas d’un soir avec la haute société) ainsi que de celle de Rose, mais il la poussera à se libérer de sa prison sociale à petit échelle, ou plus précisément à un premier grand pas d’émancipation vis-à-vis de la société bourgeoise et orgueilleuse encerclant la jeune femme.


D’autant que ça n’est qu’à la fin de la première moitié qu’on verra ce couple partager des moments beaucoup plus intime. Et ou le côté fleur bleue et naïf de Cameron est présent. Et même là, ça me paraît difficile de considérer que ça porte préjudice au film car on a appris à les aimer tout deux entre-temps et à partager leurs souhaits d’émancipation et de liberté : si on accepte les quelques compromis du film, on sympathise en totalité avec eux et chaque instant qu’ils partagent ont gagné un culte justifié dans la culture populaire. La scène du portrait de Rose aussi simple que pure et érotique, le fameux



Je vole, Jack !



à l’avant du bateau, la fuite face au majordome d’Heckley, ce quart d’heure est un moment de bonheur et de romance belle comme une nuit éclairée par un aurore boréale, ou le ressenti compte infiniment plus que la logique. Et ou la rencontre entre deux âmes d’artiste dépasse largement la simple rencontre de deux êtres diamétralement opposé par leur statut social.


D’autant que Titanic est loin d’être simpliste dans le face à face des deux classes. Malgré le parallèle via le montage, puisqu’il y a suffisamment d’approche et de recul pour distinguer le bon et le mauvais des deux côtés. En premier lieu par le personnage de Molly Brown joué par Kathy Bates qui affiche une bienveillance vis-à-vis de Jack et ses paroles, et un entrain naturelle qui font plaisir à voir.


Mais il y a malheureusement des éléments ou le film peut fâcher à juste titre les spectateurs. Le premier d’entre eux : Caledon Heckley, l’époux promis à Rose joué par Billy Zane. Même avec l’œil de 1997, ça peut paraître difficile de voir ce gus autrement que comme une caricature sans finesse de l’époux possessif et conservateur, et ayant du pouvoir qu’il ne mérite pas. Cela dit, il est sauvé par l’emploi qui en est fait dans la situation inextricable de Rose (étant donné la place de la femme à l’époque et celle des hommes également) et surtout par la manière avec laquelle il servira les divers sous-textes du film puisqu’il se révèle, en toute logique. Car incapable de prendre conscience immédiatement d’une catastrophe et s’accrochant à des valeurs passés qui n’ont plus lieu d’être (la collision de l’iceberg totalement ignoré par lui ou la mère de Rose, plus préoccupé par des affaires d’ordre sociale ou d’orgueil alors que cela n’a déjà plus lieu d’être).


Par contre, un point qui relève du chipotage concerne les quelques vérités historiques parfois soulevés vis à vis du film, en particulier un concernant l’accès au pont était réservé qu’aux premières classes et qu’un second ou troisième classe n’était pas toléré là-haut.
Mais ça, si c’était vrai, j’ai envie de dire : je m’en bas les rames. Titanic n’a pas eu vocation à être un film catastrophe copiant bêtement la réalité. Et de ce côté-là James Cameron a fait l’excellent choix de limiter les personnages historique à leurs fonctions et leurs rôles dans l’histoire mais sans prendre parti ni en faire des responsables, mais simplement des victimes des conditions de l’époque et avec qui Jack et Rose ont parfois une interaction. Ça nous laisse tout le loisir de nous focaliser sur le destin de deux personnages imaginaires et de leur entourage.


Et pour en revenir au naufrage du Titanic, ça sera pratiquement toute la deuxième moitié du film qui sera accordée à cela et qui deviendra un grand ascenseur émotionnel comme on en aura rarement vu. Après les moments de bonheur entre Jack et Rose, les premiers instants de tension s’installent avec le trouble installé par Cal et son majordome pour évincer Jack pour de bon et le naufrage annoncé au sein de l’équipage qui prendra lentement mais surement de la dimension.
A cet instant, le Titanic n’est plus à voir comme un paradis sur Terre ou un vaisseau partant pour un meilleur monde (ou l’Enfer au vu de la condition de Rose) mais comme une apocalypse à échelle réduite ou l’ordre initialement installé va laisser place à un chaos mortelle inévitable.


D’abord par l’absence de prise de conscience de la haute société et de ses richards (la mère de Rose se contentant d’appliquer le code des classes comme si de rien n’était, Cal cherchant à payer un membre d’équipage alors que son argent n’a plus la moindre valeur loin de toute civilisation, le journaliste peu scrupuleux se faisant une place dans un canot malgré les consignes, un gentleman faisant mine d’accepter la mort en prenant un brandy alors qu’il a plus peur de la mort qu’autre chose au dernier moment). Et qui peut être comparé, de nos jours, avec le comportement irrationnel de certaines têtes pensantes de notre monde actuelle qui agiraient probablement de la même manière. Car ils se révéleraient tout autant déconnecté de la réalité que l’entourage de Rose.
On peut insister sur la portée mystique de ce voyage qui vire de l’aller simple vers un monde meilleur à un véritable enfer sur Terre plus organique que jamais. Surtout avec ce retour à la réalité ou les puissants sont favorisés au détriment des plus appauvris quitte à ce que ça soit les plus imbéciles et non méritants qui soient sauvés.


Un calvaire et une course à la survie vécue par Rose et Jack qui voient l’arc principal s’accomplir en beauté :


l’émancipation de Rose vis-à-vis de sa condition emprisonnant lorsqu’elle rejette d’abord l’influence et l’autorité maternelle, puis la liaison arrangé avec Heckley lorsqu’elle refuse de partir sur le canot ou ce dernier l’a finalement fait monter et enfin le deuil de Jack qui aura donné jusqu’à sa vie pour que Rose puisse mener l’existence qu’elle souhaite, jusqu’à prendre le nom de l’homme qui lui a changé sa vie du tout au tout.


D’ailleurs même si les croyances populaires ont tendance à beaucoup miser sur l’action dans Titanic, impossible de donner tord à ces moments tant elles sont porteurs de trop nombreuses émotions pour être ignorés : tout passe, là encore, beaucoup par ce format d’image mais également par la manière avec laquelle la caméra s’éloigne de plus en plus des futurs naufragés pour ces plans d’un largesse incomparable (sur un navire grandeur nature aux effets numériques réduits mais qui gardent leur solidité maintenant pour ne pas être intrusif).
Seuls Jack et Rose ayant droit au gros plan (à l’exception des quelques passagers au sommet du bateau en ruine) tandis que le reste des passagers encore en vie peinent de plus en plus à agir avec cohérence ou rationalité jusqu’à devenir des bêtes se marchant sur les autres ou s’entassant pour la survie.


Le plan qui illustre le mieux cette perte incroyable de tout contrôle et de fin du monde, c’est le premier plan qui suit après le naufrage total du navire et qui est certainement un des plans qui me fichent le plus d’effroi tout film confondu : Rose au premier plan, la caméra recule petit à petit, en plongée, et en un plan très large pour filmer une gigantesque masse de point blanc à la surface de l’eau flottant, hurlant à la panique, souffrant le martyre dans cette eau gelée signant leur révérence. Cela en devient encore plus sinistre lorsqu’on entend les cris lointains (avec l’unique tentative d’altruisme de Molly noyée de l’œuf, implacablement), puis que celles-ci semblent s’être évanouies en quelques instants quand on repasse sur Rose et Jack, tout deux aux portes de la mort ou le seul salut réside dans ce morceau de meuble détaché du bateau ne pouvant supporter qu’un seul poids, tentant tout deux de garder conscience avec toute la peine du monde jusqu’à un salut qui tarde à venir, qui peine à se décider, à trancher entre la survie de ceux qui sont préservés et à agir en faisant la bonne chose à faire.


Conte incroyable et immatérielle venant de la part d’une Rose centenaire, ayant refait sa vie mais ne pouvant se détacher entièrement de son histoire passionnelle qui lui a permis de choisir sa voie (les plans proches de ses photos lors de sa scène de rêve ou de mort, au choix, montrant les expériences vécus après le naufrage durant sa nouvelle vie). Là encore je pense qu'il n’est pas étonnant qu’il ait des reproches sur les rares parties du présent (voir sa petite-fille et un membre de l’équipe de recherche en larmes en fin d’histoire ne me dérange pas personnellement, émotionnellement anéanti comme j’étais, mais ça peut paraître lourdingue pour certains) mais elle trouve là aussi du sens avec la recherche à but pécuniaire de la part de Lovett joué par Bill Paxton et l’étude du Titanic qui n’est abordé que d’un point de vue technologique mais en délaissant le facteur humain de manière insolente et indifférente y compris en présence de Rose. Jusqu’à ce que ce témoignage rappelle la dimension de la catastrophe par le regard d’une survivante. Ces transitions entre ces 2 époques ont vocation à fonctionner comme un témoignage puissant du passé vis-à-vis d’un public ayant oublié une tragédie qu’ils ne peuvent concevoir sans l’avoir vécu de près, la lecture est méta et plus qu’évidente à défaut d’être spécialement fine mais là encore l’implication émotionnelle est tellement forte qu’elle s’insère sans trop de mal dans ce tout à mon sens.


Titanic est définitivement, et pour encore longtemps à mon avis, l’un des plus grands films de tout les temps. Est-ce qu’il parle au plus grand nombre ? Oui. A tous ? Bien sur que non, et ce qu’on peut lui reprocher ne relève pas que du vulgaire blabla de comptoir. Mais à côté est-ce que ça serait pas immature de limiter un film à ses vérités historiques et des détails passager à côté du raz de marée d’émotion qui est proposé ici et de la pertinence du propos vis-à-vis de notre monde ? On ne peut pas parler objectivement d’un film comme si la perfection existait (parce que c’est une chimère), on peut simplement le juger selon ses valeurs et si on l’a aimé, partagé cet amour autour de soi en espérant trouver des gens réceptifs. Et en attendant de voir James Cameron renouveler le cinéma et bouleverser encore une fois toute avancée technologique avec sa saga Avatar, rien ne nous empêche de revivre ce qui est à la fois une grande histoire d’amour, la fin d’un monde qui n’évolue plus (du moins plus dans le bon sens) et se complaît dans son orgueil dérisoire au détriment des modestes et des plus appauvris, et donc un véritable chef d’œuvre qui restera toujours intemporelle à mes yeux.

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