Xavier Dolan se réapproprie les codes du thriller psychologique

« Tom à la ferme est un virage dans la carrière de Xavier Dolan » peut-on lire ça et là. C’est sûr qu’on est loin des ambiances et du style de J’ai tué ma mère, Les Amours imaginaires et Laurence Anyways, les trois premiers longs très prometteurs du jeune réalisateur québécois. Pourtant, pour sa première plongée dans le thriller psychologique, Xavier Dolan semble surtout vouloir s’approprier les codes du genre pour livrer un film personnel, dans la droite lignée de sa filmographie.


La suite de la critique, par son analyse détaillée, contient un certain nombre de spoilers.


Une voiture file à travers des routes de campagne, s’éloigne des métropoles, s’enfonce dans la ruralité. Tom, le personnage principal, arrive dans une ferme qui semble perdue au milieu de nulle part. Le silence règne, aucune âme qui vive, l’ambiance est froide, presque morbide. Et de mort d’ailleurs, il en est rapidement question. On enterre le lendemain le fils de la famille, dont on semble d’ailleurs vouloir cacher au spectateur les circonstances du décès. Si on n’est pas au début d’un film d’horreur, ça y ressemble bien. Manquerait plus qu’un sadique rode est on y sombrerait pour sûr. Mais ne serait-ce pas justement ce frère qui, à peine évoqué, semble déjà hanter la ferme, fantomatique. D’ailleurs c’est sous la forme d’une ombre qu’il apparaît pour la première fois, menace planante, cauchemardesque, sur la nuit de Tom. Il réapparaît au petit matin, corps dominateur mais toujours sans visage. Et c’est justement quand son visage est dévoilé (sous les traits de la révélation du film, Pierre-Yves Cardinal), que celui du film nous est également révélé. Au même titre que ce fermier robuste et violent possède des yeux envoutants, le film aura deux visages. Xavier Dolan respectera les codes du genre pour mieux les détourner. Tom passera de la proie qui s’enfuit dans les champs à la victime consentante, en allant presque jusqu’à devenir lui-même bourreau. La blonde, personnage phare du cinéma d’horreur, et présentée ici au départ comme le cliché ultime, se révèle rapidement être à l’opposé, femme forte et clairvoyante, défiant les lois du genre en allant jusqu’à tomber dans les bras du bourreau sans pour autant tomber sous son joug. Tom à la ferme s’écarte aussi des codes en flirtant en permanence avec l’horreur mais sans jamais y verser réellement. L’ambiance est oppressante, lourde, violente psychologiquement mais la violence physique, elle, s’arrête toujours juste avant de basculer dans l’horreur, et se double le plus souvent d’une puissance érotique d’une ambiguïté déconcertante. Lorsque l’horreur apparaît enfin vers la fin du film, c’est uniquement hors champ, à travers un récit, ou esquissée au détour d’un plan et d’une cicatrice.


Si cette horreur n’est pas montrée frontalement, c’est peut-être parce qu’elle n’intéresse finalement pas tant que ça Xavier Dolan, mais est juste un moyen pour lui d’aborder d’autres thèmes. Et d’ailleurs, si le genre de Tom à la ferme est inédit dans la filmographie du réalisateur, en adaptant la pièce de Michel Marc Bouchard, Xavier Dolan retrouve par contre tous les sujets récurrents de son cinéma. Ambiguïté des sentiments, rapports amour/haine, difficultés de communication, non-dits, sentiments refoulés, violence de l’amour, de la passion… L’homosexualité, sujet très présent chez Xavier Dolan mais restant habituellement au second plan, est ici un thème majeur, le réalisateur abordant pour la première fois de front l’homophobie. Après s’être interrogé sur le rapport de l’individu et de la société à la transsexualité dans Laurence Anyways, il se pose cette fois-ci les mêmes questions avec l’homosexualité. Et il est heureux de voir comment, derrière le prisme du thriller psychologique, il arrive à magnifiquement traité son sujet en l’abordant sous de nombreux angles.


Sur la forme aussi, s’il est indéniable que Xavier Dolan a ici énormément épuré son style pour qu’il siée parfaitement à l’ambiance voulue par le genre, on y retrouve pourtant l’exigeante patte esthétique du réalisateur. Au milieu d’une mise en scène très froide et réaliste, à la lumière crue, aux teintes grisâtres et terreuses dominantes et à la partition hitchcockienne, le réalisateur s’autorise même quelques sorties de route qui renouent avec son style habituel. Il y a déjà cette introduction avec ce plan serré sur un feutre bleu qui pleure sur un mouchoir les mots d’un au revoir. S’ensuit un générique sur une version a capella des « Moulins de mon cœur », qui rappelle les BO passées du réalisateur. Il y a ensuite ces changements de format d’image du 1.85 au 2.35 lors des séquences les plus intimes et violentes entre Tom et son agresseur, resserrant l’action pour refermer un peu plus le piège mais aussi rapprocher les deux êtres et en exacerber la passion. Enfin on notera également la séquence de danse dans une grange dont la lumière chaude vient d’un coup chasser la grisaille ambiante pour la transformer en milieu rassurant. Avant que l’ombre de la mère en arrière plan ne vienne casser cette apparente douceur et que la mise en scène redevienne plus rigide.


Après un Laurence Anyways qui amorçait déjà un virage dans la filmographie de Xavier Dolan par sa plus grande maturité, Tom à la ferme l’accentue un peu plus, mais non pas pour l’emmener dans une direction opposée mais bien pour confirmer un talent naissant qui n’a pas finit de grandir...

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le 5 nov. 2017

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