Par chance, je ne découvre que très tard Tom à la ferme dans la filmographie de Dolan. Et finalement, après avoir vu les derniers Mathias & Maxime ainsi que Ma vie avec John F. Donovan, qui se sont avérés assez décevants, ce film âgé de 10 ans maintenant - ce qui ne nous rajeunit pas dis-donc!- vient redoré le dossier "Dolan" sagement rangé dans mon cortex préfrontal.


D'abord, je dois avouer avoir un faible pour les ouvertures "calligraphiées", autrement dit, les ouvertures où la main d'un personnage écrit, peint, se meut afin de "dire", de construire un message. Ici, nous avons la main de Tom qui, désespérément écrit ; "J'ai oublié les synonymes du mot : Triste", sur un mouchoir de papier blanc, où les lettres éclatent, infusent sur la surface, comme si il était impossible de construire un quelconque discours en situation de deuil.


À cet incipit, succède un plan général qui nous transporte à la campagne, suivant cette longue route qu'accompagne la voix a cappella de Kathleen Fortin interprétant "Les moulins de mon coeur". On ne sait pas encore qui est ce jeune homme à la chevelure dorée, "éphèbique" ( rappel par ailleurs, l'obsession de Dolan pour les belles boucles blondes prêtées aux statues grecques) qui s'introduit dans une maison vide et finit par s'endormir sur la table de la salle à manger avant d'être réveillé par l'élégante Lise Roy ( Agathe) incarnant la mère de son ami défunt, Guillaume.


Se noue des lors les principaux axes du film : cette mère ignorant l'orientation sexuel de son fils, prie Tom de se faire narrateur de la vie de celui-ci, de ses aventures avec les femmes (il va alors créer la fictive "Sarah" dans laquelle il coule son histoire avec Guillaume). Francis, ce grand frère pétri de contradictions, s'attachant à faire état de violence pour cacher sa vulnérabilité et ce qu'il considère comme "ses failles" ( lui aussi, on le comprend, à une orientation sexuelle "ambiguë" qu'il refuse d'accepter), fait très vite pression sur Tom pour qu'il ne révèle RIEN du passé de son frère. Il préfère complaire sa mère dans ses illusions.


Débute une relation obscure et inquiétante entre Tom et Francis : des scènes de violence (notamment la magnifique course poursuite à travers le champ de maïs) alternent avec des scènes de complicité inattendues et vertigineuses ( la scène du Tango dans l'étable). Tom se surprend à avoir des sentiments équivoques envers Francis : à l'attraction sexuelle se mêle la peur, l'angoisse et une forme de pardon. Il en vient même à défendre son "agresseur" lorsque son amie, la fictive "Sarah", leur rend visite pour maintenir l'illusion auprès d'Agathe ( = son fils était bel et bien hétérosexuel) et le presse de quitter cet endroit sordide. Tom ne veut plus partir, quelque chose le fascine, le retient ; et cet état "à demi", "un pied dedans, un pied dehors", Dolan parvient à le rendre grassement par son jeu ainsi que l'absence de discours franc sur l'attirance mutuelle des deux personnages.


Les non-dits, l’ambiguïté des ressentis, des discours se tissent de scène en scène, embrouillant toujours un peu plus nos certitudes sur les personnages. Agathe sait-elle la vérité, finalement ? Tom est-il vraiment attiré par Francis ? Et inversement ? Ces questions restent en suspend, bien heureusement, et nous invite à songer à la caducité d'une définition nette, précise de nos émotions et mouvements intérieurs.


La chute reste néanmoins un peu décevante à mon goût. J'ai eu le sentiment que Dolan avait bâclé le film songeant " Ah bah tiens ! si dans sa fuite il croisait le mec à qui Francis a cassé la gueule, ça donnerait une conclusion significative". Boh ? Avait-on vraiment besoin de le voir cet homme au sourire d'ange forcé dont le barman nous avait fait un sublime portrait - auquel il n'était pas nécessaire d'acoller une illustration(?)- à travers son récit ?




L'incroyable André Turpin baigne ces scènes de lumières époustouflantes, comme à son habitude. Rien que pour cela, le film vaut le détour !

Clak8
7
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le 18 févr. 2022

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Clak8

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