Toni

On se croirait presque dans un film de Pagnol. Rien d'étonnant car le producteur est Marcel Pagnol, le film est tourné en Provence, dans les environs de Martigues et (au moins) deux acteurs sont des habitués des films de Pagnol, Charles Blavette et Édouard Delmont …

Sauf que ce n'est pas un film de Pagnol mais un film de Jean Renoir, tourné en 1935. Et d'ailleurs on reconnait très vite la patte de Renoir dans le film.

Le sujet, d'abord, est tiré d'un fait divers dramatique et concerne une population immigrée qui arrive, pleine d'espoir, en France mais qui survit dans des conditions un peu précaires.

Et puis, il y a ce que je résumerai de façon, peut-être impropre, par un certain réalisme des personnages un peu brut de décoffrage et des dialogues abrupts qui ne s'embarrassent pas de subtilités. Par, exemple, le personnage de Toni n'est pas spécialement sympathique. Il commence à vivre avec sa logeuse, Marie, avant de tomber amoureux de Josefa, nièce d'un petit propriétaire qui dispose d'un petit pécule. Mais Josefa, d'origine espagnole, lui préfère un "parisien", beau parleur, Albert, qui n'est intéressé que par le pécule de l'oncle et qui va la maltraiter.

D'ailleurs, c'est un constat général dans ce film, les hommes, pour la plupart, se comportent comme de véritables salauds avec les femmes. Renoir a beau entrecouper les scènes de chansons nostalgiques piémontaises ou italiennes, il n'empêche que les dialogues de Toni et Marie ou d'Albert et Josefa sont plutôt rudes. Et même le personnage de Josefa est ambigu dans sa façon de procéder pour attirer les hommes et les utiliser à son avantage. Elle finit par avoir trois soupirants ! Le réalisme, finalement, oui, c'est bien le mot qui convient.

Le seul qui soitcompatissant, qui essaye d'arranger les conflits, c'est Fernand, l'amoureux silencieux de Marie, le copain de tout le monde … On ne s'étonnera donc pas que ce soit Édouard Delmont qui tienne le rôle ! C'est le personnage positif par excellence … "La trilogie", "Angèle", "la femme du boulanger", "Regain", etc …

Le rôle de Marie est intéressant et même attachant. Il est tenu par une certaine Jenny Helia qu'on voit fréquemment en second rôle chez Pagnol ou Renoir de cette époque sans pour autant connaître son nom.

Le rôle de Toni est tenu par Blavette bien connu pour sa verve (sa tchatche) marseillaise. Il eût été peut-être utile qu'il fasse semblant d'avoir un accent italien pour la crédibilité du personnage un peu trop marseillais. À moins que Renoir n'ait pas voulu trop stigmatiser le fait que le personnage soit censé être justement un immigré.

D'ailleurs, sur ce point, le "réalisme" du film en prend un petit coup car Renoir fait aussi dans un certain angélisme en gommant toute difficulté sur l'accueil des immigrés en France. On sait bien que les choses ne sont pas si simples dans la réalité. On peut se douter que les travailleurs immigrés, surtout dans des périodes difficiles (ici, les années 30, la grande Dépression), ne sont pas toujours bienvenus.

Pour finir sur une note beaucoup plus positive, soulignons la magnifique mise en scène du film avec une photographie très belle de la Provence, des pinèdes, du bord de mer, des mouvements de caméra (la course éperdue de Toni), … Là, aussi, on reconnait, à coup sûr, la touche du maître.