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La bande-annonce vous aura sans doute prévenu : Toni, en famille n’a rien de foncièrement original à proposer, et s’inscrit dans cette catégorie de films qu’alimente en masse le cinéma français, à savoir une chronique de la vie familiale contemporaine, ses tracas et ses instants de vérité.


On notera pourtant au préalable que c’est là que c’est le 3ème long métrage d’un jeune homme de 24 ans qui écrit et réalise un récit centré autour d’une mère célibataire de 43 ans avec une perspicacité assez folle. S’il donne évidemment la part belle à ses 5 enfants éparpillés sur tout le large spectre de l’adolescence, le réalisateur ne perd jamais de vue son héroïne éponyme, dont définit rapidement l’ambivalente place centrale. À l’action, à l’écoute, souvent décadrée par rapport à un premier plan où la marmaille vit dans tous les excès qui lui sont propres, Toni conduit, dirige, initie les mouvements, et regarde avec amour cette jeunesse éclatante qui organise progressivement son départ de la maison.


Le film traite évidemment de la question de la charge mentale, mais n’en fait pas l’élément central de son questionnement : on pourrait, d’une certaine manière, le situer entre l’urgence d’À plein temps et le caractère contemplatif des Passagers de la nuit, où la mère décide qu’il est temps de s’occuper aussi d’elle et de sa destinée. L’humour de la vie en famille irrigue de nombreuses séquences, à l’image de cette ouverture très réussie, qui concentre tous les enjeux d’une tribu nombreuse au sein de l’habitacle d’une voiture, mais le portrait collectif sait aussi, avec justesse, accompagner les montagnes russes de l’adolescence, où les conflits, les quêtes identitaires et les non-dits peuvent ravager les cœurs.


La mise en scène prend le parti de son personnage, discrète et solaire, alternant entre les plans d’ensemble dans un espace réduit (la cuisine, la série des chambres) pour donner à voir la famille, et des portraits où les longues focales isolent des personnages à qui l’on décide d’accorder toute l’attention nécessaire. C’est là l’une des grandes réussite du film : ne jamais pousser les curseurs trop loin, et savoir, malgré des comédiens d’exception (Camille Cottin devrait obtenir un césar pour ce rôle), ménager les silences et les non-dits. La manière, par exemple, dont le récit gère le passé de chanteuse de la Star Ac de Toni, permet quelques réflexions sur l’idée d’un destin choisi ou non, mais reste en arrière-plan, et explique sans le verbaliser les réticences de la mère face à la carrière de danseuse qu’envisage l’aînée. Les séquences qui la voient exploiter encore, malgré elle, ce passé glorieux (le karaoké, l’échange avec le tenancier d’une boîte de nuit) parviennent à dessiner en quelques plans un profond malaise quant au statut de célébrité, et de femme dans un métier sans pitié.


Cette vertu du silence se retrouvera dans de nombreux enjeux dramatiques, avec une intelligence d’écriture qu’on souhaiterait voir chez des scénaristes bien plus chevronnés : la pudeur avec laquelle on traite le décès du père, le contenu jamais dévoilé de la lettre du fils ménagent une intimité d’autant plus forte qu’elle restera secrète. Le récit aura donc accompagné un temps durant cette famille, en incluant pour une fois la mère dans un processus qui pourrait la conduire vers de nouveaux horizons qui, eux aussi, resteront hors-champ, car il s’agit moins d’une sucess story que d’un récit initiatique qui va prendre par la main les mentors de l’ombre.


(7.5/10)

Sergent_Pepper
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le 20 sept. 2023

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Sergent_Pepper

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