"i think it's dark and it looks like rain" you said...

Qu'on aime ou pas "Toni Erdmann" - et au sortir de ces presque trois heures de cinéma singulier, on ne sait pas forcément très bien si on a aimé ou non -, impossible de nier que le film de Maren Ade va vous travailler, longtemps et souterrainement. Car cette sorte de fable atonale et terriblement désenchantée - qui se conclut magnifiquement et pertinemment par le "Plainsong" de Cure - affronte sans baisser les yeux les maux les plus cruels de notre époque impitoyable : la barbarie du capitalisme qui broie ses esclaves mais asservit aussi ceux qui s'en croient les maîtres, le dessèchement des relations humaines (familiales, amoureuses, sexuelles, amicales) au point de les vider du moindre sens. Et face à l'horreur, Maren Ade imagine et filme les stratagèmes passablement idiots d'un père vieillissant, plaisantin absurde et limité, qui va interférer avec la vie de sa fille, combattante moderne depuis longtemps perdue pour lui, dans l'espoir de provoquer entre eux une sorte d'étincelle de vie. On rit beaucoup devant l'accumulation de scènes embarrassantes, pitoyables parfois, excellemment filmées par Maren Ade qui démontre un sens de la durée remarquable - sans doute la principale qualité du film, avec son interprétation : mais ce rire, un peu comme devant les strips de Pierre la Police auquel la scène de "la peluche bulgare" et de l'anniversaire nu fait clairement penser, est surtout l'expression de notre malaise, et, au final, de notre désespoir. Car la dernière scène de "Toni Erdmann", la plus triste, nous murmure que nos minuscules victoires ne sont qu'éphémères. [Critique écrite en 2016]

EricDebarnot
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films de 2016 et The Best that Cinema has had to offer since 2000

Créée

le 6 sept. 2016

Critique lue 650 fois

23 j'aime

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 650 fois

23

D'autres avis sur Toni Erdmann

Toni Erdmann
CableHogue
8

Pour la beauté du geste

À quoi tient l’évidence d’une oeuvre ? En regard d’un objet inclassable comme Toni Erdmann – une comédie dramatique allemande de près de trois heures –, la question ne manque pas de se poser. En...

le 13 août 2016

68 j'aime

20

Toni Erdmann
Velvetman
7

La rancœur du rire

Dans la jungle du capitalisme qui s’abat sur la plupart des pays européens déambulent de nombreux spécimens aliénés. C’est alors qu’on y trouve Winfried Conradi, une sorte de Teddy Bear des cavernes...

le 19 août 2016

61 j'aime

5

Toni Erdmann
guyness
5

Postiches.. Liebe Dich

Il n'est pas totalement impossible que mon manque d'enthousiasme envers Toni Erdmann soit avant tout le fruit de considérations éminemment personnelles. Presque intimes. Je me suis toujours senti...

le 31 août 2016

57 j'aime

36

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

204 j'aime

150

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

190 j'aime

104

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

185 j'aime

25