Il a fini par devenir tout un symbole.
Symbole d’un cinéma d’action qui aimait rouler de plus en plus des mécaniques (littéralement) ; symbole d’un virilisme à l’américaine dont les Schwartzy et autre Stallone étaient alors les parangons ; mais aussi et surtout symbole d’un soft power qui ne se cachait en rien : Top Gun a fini au fur et à mesure des années (et des décennies) par se muer en icône ; une icône d’autant plus marquée que, dès l’époque de sa sortie, elle assumait pleinement ce qu’elle était, presque jusqu’à l’excès.
Dès lors rien d’étonnant, dans la grande logique du mercantilisme de cette industrie là, qu'une suite ait finie par voir le jour…
…Même s’il est davantage étonnant de ne la voir débarquer qu’aujourd’hui – trente-six ans plus tard – en 2022.


Forcément, une telle attente avait légitimement de quoi susciter les fantasmes et les questions.
On sait le producteur qu’est devenu Tom Cruise depuis le temps, tout comme on sait la rigueur avec laquelle il sait s’entourer. Entre un Joseph Kosinski à la réalisation, un Christopher McQuarrie à l’écriture et un singulier duo Harold Faltenmayer / Hans Zimmer à la composition, on était en droit d’espérer du cinéma léché à la hauteur de ce que l’oncle Sam sait techniquement nous offrir de mieux.
D’un autre côté, comment ne pas s’interroger sur l’objectif d’une telle reprise, qui plus est à une époque où le cinéma étatsunien a plutôt tendance à s’éloigner de ce que fut et ce que qu’a su incarner Top Gun quatre décennie plus tôt ?


Malheureusement – et malgré une sincère curiosité à l’égard de ce projet là – c’est peu dire si mes espoirs ont vite été douchés. Et à dire vrai j’aurais pu anticiper le problème si, au lieu de me focaliser sur ce que le film originel disait des années 80, je m’étais davantage focalisé de ce que les années 2020 ne cessaient de dire de notre époque…
…Parce que s’il y a bien une chose qui caractérise la décennie 2020 – comme la décennie précédente d’ailleurs – c’est leur incroyable pouvoir d’aseptisation, quelque soit le sujet traité.


Qu’il s’agisse des jeux sado-masos de Fifty Shades of Grey, de l’enfer de Dunkerque, ou du retour au monde sauvage de Jurassic World, au final tout ressort bien propre au sortir de la lessiveuse hollywoodienne. Pas de sang, pas de stupre, et surtout pas d’idéologie : il s’agit de savoir diffuser partout et pour tout public, quitte à ce que ce neo-haysisme javellise toute audace et toute texture sur son passage.
C’est ainsi que, presque sans surprise, Top Gun : Maverick n’a été au final qu’une énième itération de cette machine à standardisation qu’est devenue la machine hollywoodienne.
Le film est tout le temps le même. Seuls les skins changent. Et ici ce Maverick n’y échappe pas : c’est du James Bond / Mission : Impossible / Jason Bourne avec la même fadeur, mais à laquelle on associe quelques réminiscences de l’ancien film copié histoire de donner l’illusion au public qu’il y a une identité et une saveur à la nouvelle semelle qu’on lui sert dans l’assiette.


Maverick a beau avoir quelques atouts – et on en reparlera très vite – ceux-ci sont noyés dans une mélasse de scènes qui n’aspirent qu’à réveiller les souvenirs des fans du premier opus.
Car loin de rappeler le bon vieux temps, cet enchainement de quiquas ou de sexas liftés jusqu’à la moelle et qui passent leur temps à débiter des lieux communs ne fait que rappeler à ce qu’est véritablement ce film, c’est-à-dire un métrage empêtré dans le déni du temps qui passe et fait tout comme si rien n’avait changé en quarante ans.
C’est d’ailleurs l’un des principaux naufrages de l’écriture de McQuarrie. Partant d’abord sur la thématique de l’obsolescence des pilotes face aux drones – schéma de déconstruction de l’icône qui, à défaut d’être original, présentait au moins le mérite de la pertinence – McQuarrie se paye finalement le luxe d’abandonner son idée en à peine un gros quart d’heure (explosant ainsi de plus d’une heure son précédent record tenu sur Edge of Tomorrow) et de se coller sans scrupule ni effort sur le modèle narratif du Top Gun original, et cela sans en changer grand-chose ; comme si tout le monde n’y verrait que du feu ; comme si au fond les années 80 étaient encore d’actualité…
...Juste un petit lifting histoire de gommer les aspérités et il n’y paraitra plus rien.


Le problème, c’est qu’à force de coups de bistouris et de peaux tendues, il n’y a plus grand-chose qui offre du relief dans ce film.
Les personnages n’ont aucun enjeu et doivent se réduire pour leur grande majorité à n’être que des stéréotypes définissables en une seule ligne. Ici le binoclard, là le crâneur, et tout autour les quotas de minorités à respecter.
Le vice est d’ailleurs poussé tellement loin que les navigateurs n’existent même plus dans ce film. Enfin si, l’une des pilotes dispose de son navigateur mais pas les autres. Est-ce la seule à en avoir mais si oui pourquoi ? Est-ce que les autres en ont aussi mais dans ce cas pourquoi les avoir à ce point invisibilisé ? De tout cela le film ne s’embarrasse pas en explications ni en détails. On n’est pas là pour ça. On est là pour aligner les scènes de cabrioles et les références au film précédent donc : « circulez il n’y a rien à voir »…


D’ailleurs, à ce petit jeu-là, le personnage incarné par Miles Teller est à lui-seul tout un symbole.
Seule entité ayant le droit à être un minimum caractérisé, il n’est en fait là que pour reprendre la place de celui qui était le coéquipier du héros dans le précédent film. On pousse même le vice à le définir comme son fils.
Autant dire que si ce personnage de Rooster dispose de ce privilège d’exister un temps soit peu aux côtés du grand Maverick, ce n’est une fois de plus que pour reproduire un schéma pourtant déjà usé jusqu’à la moelle.
Alors après pourquoi pas si au moins ça permet de ressusciter une sorte d’esprit vintage mais ce n’est même pas le cas. Passés à la moulinette de l’aseptisation, le bataillon d’élite de l’académie TopGun n’est capable de rien, même pas du traditionnel roulage de mécaniques de gros beaufs, année 2022 oblige.
Et parce que de nos jours il ne faut donc surtout pas choquer, on se retrouve donc à devoir s’enquiller des beuveries dans des bars dignes de soirées bingo ou de parties de beach volley qui semblent tout droit tirées d’un épisode de Dawson


Et c’est dommage parce que ce film avait tout de même ses cartes à jouer. Et bien évidemment, sa meilleure carte c’était celle de l’action et du combat aériens.
Sur ce point la maitrise formelle de Joseph Kosinski fait le boulot. Beaucoup de scènes en prise de vue réelle. Des actions claires avec des cadres nets et précis qui rendent l’ensemble lisible sans pour autant perdre en rythme et en intensité.
Le cut n’est jamais utilisé dans l’excès et la musique a parfois le bon goût de s’effacer. C’est propre et efficace.
Tout ce que j’attendais pour ma part.
Etonnamment, c’est d’ailleurs même sur sur ce point que le scénario s’en sort le mieux et démontre quelques habilités.
Car l’air de rien, ce Top Gun : Maverick présente au moins le bon goût d’éviter d’appliquer cette règle tacite et absurde du « tout tout de suite ». Pas de grosse scène d’action d’entrée, mais juste une mise en bouche visuelle (et plutôt réussie d’ailleurs). Pour assister au grand saut le film nous fait comprendre qu’il faudra attendre.
Attendre : un mot qu’on ne sait plus suffisamment prononcer en 2022.


Or l’attente c’est ce qui fait tout, du moins pour peu qu’on sache bien l’exploiter. Et sur ce point-là Top Gun : Maverick sait faire preuve de savoir-faire.
La scène finale est annoncée dès la sortie d’intro. On nous présente très vite ce qui devra être fait, comment le faire, et surtout quelles difficultés vont se poser pour que ça se fasse.
Dès lors s’enchainent les entrainements ; lesquels sont autant de prétextes pour en montrer un peu plus tout en dévoilant en parallèle davantage d’enjeux concernant les personnages…
A ce petit jeu d’ailleurs, ce film s’est payé le luxe de me surprendre, sortant une scène particulièrement efficace à un moment et d’une manière auxquels je ne m’attendais pas.


…En l’occurrence il s’agit du moment où Maverick décide de faire la démonstration de la faisabilité de sa stratégie.
La scène débarque sans prévenir, elle se pose comme une mise-en-bouche de ce qui nous attend par la suite, elle s’appuie efficacement sur toutes le set-on installé précédemment, et elle est surtout réalisée sans fioriture, sachant faire reposer toute la tension de l’instant par des mouvements nets et sur un usage des sons intradiégétiques particulièrement pertinent.


Pour ma part, cette scène-là, c’est la seule qui a vraiment été capable de me clouer à mon siège. C’est la seule pendant laquelle j’ai été vraiment pris par ce Maverick.
Et au fond l’efficacité de cette scène dit en creux tout ce qui a manqué au reste du film pour vraiment être en mesure de se poser à mes yeux comme un vrai bon film d’action.
Cette scène c’était à la fois ce qu’on attendait mais pas comme on l’attendait.
Cette scène c’était le moment où Maverick incarnait enfin ce qu’il est censé être : c’est-à-dire un chien fou dont l’indiscipline paye.
Cette scène c’était le moment où on voyait enfin tous ces bidasses lisses devenir autre chose que de simples belles-gueules qui essayent de se donner de l’épaisseur en vain. A ce moment-là, ils se taisent et ils apprennent. A ce moment-là on les pose comme des personnages en construction… Bref comme des personnages tout court quoi.


De là peuvent dès lors se poser quelques questions et notamment celle-ci : pourquoi ne pas avoir installé ça dès le début ? Pourquoi ne pas en avoir fait un enjeu central du récit ?
Maverick c’est l’Amérique qui roulait des mécaniques dans les années 80 et qui se retrouve désormais confrontée à l’Amérique d’aujourd’hui. Certes Maverick était l’incarnation du beauf un peu casse-cou, mais au moins lui il prenait des risques, lui il se bouffait des G dans la gueule et tout ça pour poutrer des Mig soviétiques.
Lui il combattait dans une vraie guerre.
Lui il risquait vraiment sa peau au lieu de simplement piloter des drones à distance.
Lui il était vraiment dans le monde physique et charnu, celui qui sent, qui saigne et qui pue…
Si cette vieille génération avait eu l’audace de se poser en bons gros boomers face à la nouvelle génération qui croit tout savoir mais qui, en fin de compte, n’est qu’une génération élevée en culture hydroponique, ça aurait au moins eu le mérite d’installer quelque-chose…
…Ça aurait au moins eu le mérite de poser une tension aussi bien en termes d’intrigue qu’en termes de cinéma. L’ancien contre le nouveau. Le numérique contre le physique. L’Amérique de Reagan contre l’Amérique à l’esprit « éveillé ».
Top Gun : Maverick aurait pu être ça – il l’a d’ailleurs été en de brefs instants – mais à la place il a donc préféré éviter pour l’essentiel toute zone de tension.
Il a préféré lisser.


Pourquoi le choix de l’insipide ? Pourquoi le choix de l’édulcoré ?
De ce que j’en perçois, la réponse à ces questions me semble tenir en un seul mot. Un mot que le film met d’ailleurs fièrement en évidence. Maverick.
Car oui, au fond le problème c’est Maverick et surtout celui qui l’incarne.
Le problème c’est Tom Cruise.


Rien d’étonnant en fin de compte à ce que ce film ressemble plus à un énième épisode de Mission : Impossible qu’à la suite de Top Gun. En quarante ans, l’acteur est devenu un homme d’affaires et un producteur intraitable qui gère chacune de ses productions au service de sa propre image ; et une image qu’il a justement voulu la plus lisse possible.
Évoquer le culte scientologue auquel l'homme adhère pourrait expliquer en partie cette culture du contrôle absolu et cet idéal de l'aseptisation à outrance, mais pour le coup – et au regard du contexte économique et social du moment – le seul business peut amplement suffire pour expliquer cet insipide Maverick.
Dans ses films, Tom Cruise doit toujours sourire, toujours être beau, toujours être bon, toujours être juste, toujours être en moto sans casque.
On ne doit pas ne pas aimer Tom Cruise.
Ainsi, dans chacun de ses films, Tom Cruise protège les Etats-Unis mais toujours contre personne. L’ennemi chez Tom Cruise n’a pas de nom ni d’identité. Il ne s’agirait pas de fâcher qui que ce soit. C’est donc l’Etat-voyou, le rebelle. Dans Maverick on parle de rogue state comme ailleurs on pouvait parler de Rogue Nation.
Tom Cruise est l’ennemi de la rébellion. Tom Cruise doit pouvoir se vendre partout et se faire d’ennemi nulle part. Ainsi il ne saigne pas ni ne baise en rien. Il est sage de partout et même ses bières ont des allures de citronnade tant tout le monde est sage dans ses bars.
Pour Tom Cruise, on peut appeler un film Maverick et le transformer en icône – à quelques scènes près – de l’anti-rébellion ; de celui qui marche dans le rang.


Moi, je l’avoue, ça me dérange.
Ça me dérange d’aller voir un Top Gun qui n’est pas Top Gun.
Ça me dérange d’aller voir un Top Gun qui ne soit d’ailleurs même pas quoi que ce soit, au point de ressembler davantage à un Star Wars qu'au Top Gun de 1986.
Maverick n’a pas d’identité. Il n’a pas d’âme. Le peu qu’il a, il la doit à son matériau originel dont il vampirise les atours sans vergogne.
Maverick est un artéfact sans vie qui se pare de la peau des autres pour qu’on ne se rende pas compte du squelette décharné qui le compose pour l’essentiel. Il est au fond à l’image de cette photographie jaunasse qui entend nous faire vivre dans un coucher de soleil permanent de publicité où tout a été photoshopé.
Pas de tension. Pas de propos. Pas de problème. Juste la jolie attraction des avions qui font des loopings et des feux d’artifices.
Alors oui c’est parfois joli et impressionnant, j’en conviens. Je ne crache d’ailleurs pas totalement dans la soupe non plus…
Mais bon, est-ce qu’on entend vraiment se contenter de ça ? …D’un cinéma qui entend nous resservir en boucle et tout le temps la même gueule liftée ad nauseam ?


…A croire que oui.


Bah oui : « à croire que oui ». Parce qu’à voir les seules notes de mes éclaireurs au moment de poster cette critique, on semble se contenter de ça.
Comme quoi, depuis le départ, mon erreur a toujours été la même : oublier de considérer ce que sont les années 2020 et de ce qu’elles disent de notre époque.
Aujourd’hui le lisse, ça semble payer et ça semble satisfaire la plupart des gens, alors soit.
Que demande le peuple si le peuple est content de ce qu’on lui donne ?
Au fond il n’est pas bon d’être un maverick de nos jours ; même un maverick aussi commun que je puisse l’être.
Réclamer un peu d’aspérité et de rudesse est visiblement une exigence d’un autre temps.
Alors tant pis, je n’ai plus qu’à aller chercher mon étiquette de boomer et m’en satisfaire, car visiblement je n’ai plus grand-chose d’autre à espérer de ce genre insipide que devenu aujourd’hui le blockbuster.

Créée

le 29 mai 2022

Modifiée

le 29 mai 2022

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