Touche pas à mon gazon par pierrick_D_

Dick et Jane,couple de bourgeois californiens,se retrouvent dans la mouise lorsque Monsieur perd son emploi de cadre supérieur dans une grande entreprise d'aéronautique.Après diverses tentatives infructueuses pour redresser leur situation financière,ils finissent par se livrer à une série de braquages.Le réalisateur Ted Kotcheff est réputé pour être un "Vietnam director",car il s'est fait surtout connaître en enchaînant en 82 et 83 "Rambo" et "Retour vers l'enfer".Mais il a oeuvré dans différents genres,parfois avec succès,et cette comédie sociale est plutôt enlevée.Certes,c'est formellement un peu vieillot,l'image est médiocre,les décors font toc et le burlesque est par moments trop appuyé.Mais Kotcheff assure un bon rythme,même si ça traîne en fin de parcours,le scénario est bien écrit,accumulant des situations, des dialogues et des personnages barrés souvent hilarants.Ainsi,le défilé de mode qui tourne mal,la visite du contrôleur ou celle de Jane chez ses parents valent le déplacement,tout comme cette conversation entre les époux concernant la recherche de travail de Madame.Elle:"alors tu crois que je ne peux faire que secrétaire ou pute?" Lui:"non,pas secrétaire".Mais la qualité principale du film,datant de 77, est son incroyable actualité,au point qu'on pourrait croire,ne serait-ce son look suranné,qu'il est sorti la semaine dernière.D'ailleurs,il a fait l'objet en 2005 d'un remake,"Braqueurs amateurs",qui porte le même titre en VO,"Fun with Dick and Jane".Tous les marqueurs du déclin d'une société capitaliste atteignant ses limites et annonciateurs de la situation sociale actuelle sont déjà bien présents.Les charrettes de licenciements,touchant en priorité les gros salaires dus à l'ancienneté,pratiquées par d'importantes entreprises se livrant simultanément à de lucratives malversations,le chômage des cadres,les petits boulots moins bien rémunérés que le chômage,le travail au noir,les ruses pour obtenir les aides sociales,les immigrés qui connaissent toutes les ficelles pour feinter le système,tout est étalé sans fard et prédit en ces seventies finissantes l'éclatement du néo-libéralisme que nous connaissons aujourd'hui.Il y a même un transsexuel qui apparait lors d'une scène,prouvant que ces délires ne datent pas d'hier,mais maintenant on en fait la promotion en access prime time.On voit s'agiter une société entièrement inféodée à une valeur unique,l'argent.Les protagonistes,quels qu'ils soient,ne pensent qu'à ça,ce qui se cristallise dans la séquence bien frappée des billets balancés sur la route,provoquant une émeute entre les passants avides de ramasser du dollar.Les voitures s'arrêtent en dérapage incontrôlé,une mère abandonne son landau avec le bébé dedans,tout le monde se fout sur la gueule,les flics eux-mêmes,venus pour rétablir l'ordre,veulent leur part.L'argent n'est en outre pas seulement un moyen d'acquérir des biens matériels,c'est aussi un témoin de statut social.Dick et Jane veulent absolument préserver leur standing,garder leur belle maison dans un quartier huppé,leur pelouse,leurs arbres,leur piscine,et ne surtout pas déchoir aux yeux de leurs voisins,chacun étant jugé sur le seul critère du niveau de vie.George Segal,déchaîné,et Jane Fonda,diablement belle,mènent la danse avec une énergie folle et distillent un sympathique parfum de féminisme,Jane se révélant beaucoup plus fine et maligne que son mari,qui lui est un brave type pas trop futé.Ils sont secondés par des acteurs peu connus mais efficaces,parmi lesquels se distingue John Dehner,qui dans le rôle du père psychorigide de Jane nous offre une scène d'anthologie.