« Quand j'entends le mot culture je sors mon carnet de chèques. » Jean-Luc Godard

Le film commence par une introduction en mode culturel avec le bruit sec des chèques que l'on détache de leur carnet. Il est des films comme ça où, comme comme les cinéastes n'ont pas d'histoire à raconter, ils font un film bavard qui dit tout et son contraire et où il faut se raccrocher au making off et au contexte politique pour rechercher les intentions affichées ou cachées dans l'espoir d'y voir plus clair.

Lui, (Yves Montand) est un cinéaste qui est devenu réalisateur de films publicitaires après la désillusion de mai 68. Elle, sa petite amie, (Jane Fonda) est correspondante en France d'une radio américaine en tant qu'experte en gauchisme.

Lui et Elle font un reportage dans une usine de charcuterie qui se retrouve occupée par les ouvriers en grève et ils se retrouvent séquestrés avec le directeur. Le couple est par ailleurs en crise. Ils vont se réconcilier à la fin car «Lui et elle ont commencé à se penser historiquement. » Ouf ! Ils l'ont échappé belle, on respire !


Jean-Luc Godard et Jean-Pierre Gorin, les deux grands timoniers du collectif maoïste le groupe Dziga Vertov ajoutent à leur refrain habituel sur la lutte des classes une histoire d'amour, et affirment que leur film est bien une histoire d'amour...tout en ne l'étant pas.

 Pour faire un film il faut des vedettes. Et comment tu vas les attirer les acteurs ? Pour qu'ils acceptent il leur faut une histoire, une histoire d'amour de préférence. (avoue la voix off)

Les deux Vertoviens dénoncent dans une première lecture l'exploitation des travailleurs en usine. Directeur de l'usine et syndicaliste CGT ont chacun leur long monologue face caméra où ils sont tournés en ridicule, voire méprisés, de même que les communistes vendant leur programme dans un supermarché comme un vulgaire produit de consommation.


Le décor de l'usine est divisé en plusieurs cases, histoire de faire comprendre que le patron et les journalistes (Lui et Elle), dans leur petite case, ont des intérêts de classe communs, en dépit du discours journalistique favorable aux travailleurs, et que les trois ne représentent qu'une petite partie par rapport aux masses travailleuses de l'usine occupée.

La partie sous-jacente qui dénonce les convictions artificielles des journalistes et des vedettes du cinéma est la partie du film qui a le mieux échappé à l'érosion du temps. Godard et Gorin remettent principalement en question l'image de générosité que veulent se donner les acteurs « engagés » et la bonne conscience de la gauche qui se mobilise pour les opprimés en se faisant au passage sa propre publicité aux dépens de ceux qui luttent.

Les deux acteurs principaux ont été choisis par Godard non pas pour leur talent mais en tant que symboles de la bien-pensance de gauche et de ses contradictions.

Jane Fonda était connue pour ses prises de position contre le gouvernement américain pendant la guerre du Vietnam avant de se marier plus tard avec le milliardaire Ted Turner, créateur de CNN, la chaîne qui couvrait la guerre en Irak pour le compte du gouvernement américain. Dans son film à thèse suivant Lettre à Jane Godard fera l'analyse d'une de ses photos au Vietnam en démontrant que Jane Fonda éclipse le peuple vietnamien et son combat, tout comme sa présence dans Tout va bien éclipse les revendications des ouvriers français.

Après avoir été compagnon de route du parti communiste, et après une période où il dénonçait tous les totalitarismes Yves Montand a fini sa carrière en faisant la promotion d'un « capitalisme libéral » à la télé. Godard lui donne fort à propos la parole face caméra pour incarner l'intellectuel de gauche qui a renié ses convictions. Yves Montand était-il maso pour accepter ça ? Il semble que ce soit une vengeance de Godard envers l'acteur qui n'arrêtait pas, paraît-il, de lui suggérer des modifications dans la mise en scène.


C'est Godard lui-même (pour Gorin je ne sais pas) qui a réussi dans ce film à exposer le mieux, sans s'en rendre compte à cause de son ego, ses propres contradictions. Affirmant haut et fort la volonté initiale du groupe Dziga Vertov de ne pas vouloir faire de film commercial et de faire du cinéma militant, Godard a dû pour se renflouer se conformer aux lois d' une production commerciale avec deux vedettes bankable et en réclamant même avec insistance Jane Fonda qui n'était pas intéressée par le film.

Godard montre son vrai visage sur ce film même s'il semble se montrer sincère dans son intérêt pour les masses laborieuses dans une période où il cumulait les emmerdes : largué par sa copine Anne Wiazemski, séquelles d'un grave accident de moto, finances au plus bas, échecs de ses films précédents, grande désillusion après mai-68, … Mais...

 Entre ton intérêt pour les masses et ton narcissisme, il n’y a place pour rien ni pour personne. (lettre de Truffaut à Godard).

Final désenchanté en chanson. Travelling final sur un paysage urbain en plein hiver. Opposition typiquement godardienne de l'image et du son... "Il y a du soleil sur la France" de Stone et Charden.


Tu détiens la vérité sur la vie, la politique, l’engagement, le cinéma, l’amour, tout cela est bien clair pour toi et quiconque pense différemment est un salaud, même si tu ne penses pas en juin la même chose qu’en avril...  (lettre de Truffaut à Godard)
Zolo31
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le 16 janv. 2024

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