Le film entremêle deux trajectoires de la photographe et militante Nan Goldin, surexposition qui ne se rejoindra pas — mais cela aurait-il apporté quelque chose ? D'une part sa vie et son œuvre artistique, intrinsèquement mêlés pour celle qui évoluera aux marges multiples et protéiformes de la société américaine et photographiera son quotidien et celui de son entourage dans une démystification subversive et sublime. Son histoire l'a conduit des mouvements pour les droits civiques en passant par les milieux underground LGBTQI au combat contre le sida et l'inaction des pouvoirs publics, par la prise de position contre les violences domestiques et la drogue. Ces photos sulfureuses traitent autant d'un milieu à la beauté cachée que de notre rapport à la sexualité, au corps, à la domination, aux normes, à la classe et à l'ethnie. Profondément inclusive, Nan Goldin nous rappelle que l'art est éminemment politique dans le sens qu'il amène des sujets dans l'espace public et dans une confrontation avec les publics.

D’autre part le film fait état de son combat contre la famille Sackler, propriétaire de Purdue Pharma et à l'origine de la crise des opiacés aux États-Unis d'Amérique, parallèlement grand philanthrope et mécène des arts dont le patronyme orne de nombreux musées. Nan Goldin utilise ici sa réputation, elle dont l'art controversé a fini par être légitimé et acclamé par les grands musées, comme levier de son combat. Un combat qui a connu un certain nombre de victoires et qui se poursuit toujours aujourd'hui. Le film est donc en quelque sorte une brique médiatique supplémentaire qui permet à l'artiste de faire connaître sous un autre angle son combat actuel, à travers le rappel de son militantisme passé et de sa valeur artistique. Si la partie contemporaine du film tourne un peu à l'éloge son combat reste noble et s'explique complètement pour cette femme profondément acquise à la cause des plus fragiles et des plus marginalisés.

J’ai sans doute préféré la première partie, plus riche et plus politique en un sens — comme la séquence sur son exposition sur le sida. Cette partie évoque et convoque davantage d'imaginaires, la photographe elle-même revenant sur la confusion entre les histoires qu'on se raconte et les souvenirs fixés sur les photographies. C’est peut-être aussi parce que je me sens plus porté par l'histoire de l'art et par la photographie, ce témoin d'instants volés sur lequel nous projetons notre imaginaire. la 2nde partie est plus prosaïque même si elle reste un complément intéressant de remise en question de la légitimation de l'art et du système économique du marché de l'art.

AlicePerron1
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le 12 mai 2023

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Alice Perron

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