Même si le projet du film des frères Larrieu demeure assez flou au départ, on comprend petit à petit leurs intentions : en utilisant les ressorts de la comédie classique (à base de quiproquos et d’usurpation d’identité) à laquelle vient s’adjoindre une dimension de comédie musicale (de toile de fond en début de film, les numéros chantés et dansés deviennent progressivement le centre de l’intrigue), les deux cinéastes souhaitentjongler entre les genres pour en créer un nouveau. Il est vrai que le film surprend souvent : alors qu’on s’attend au début à un petit film sentimental dans la tradition d’Amélie Poulain, l’histoire prend tout à coup des chemins inattendus, rajoute des intrigues secondaires que l’on n’avait pas forcément vu venir, et approfondit son propos de séquence en séquence. Le tout porté par une mise en scène discrète, mais subtile, qui vient souligner ce qu’il faut souligner sans jamais tomber dans la surenchère que pourrait impliquer une comédie musicale.


Ainsi, si l’enjeu de départ du chanteur « Tralala » (ce n’est pas un hasard si son vrai nom demeure inconnu) est de retrouver une jeune fille croisée à Paris dont il est tombé amoureux, son arrivée à Lourdes occasionne des situations tout à fait cocasses (notamment grâce au talent de Denis Lavant, qui n’est jamais aussi doué que pour jouer les tordus) et l’intervention d’une mère endeuillée le prenant pour son fils disparu nous font nous poser plusieurs questions : qui est vraiment Tralala ? Que cherche-t-il ? Plutôt que l’amour d’une femme, n’est-il pas plutôt en quête d’une famille qui remplacerait celle qu’il a perdue ? Et cette façon de se glisser dans la peau d’un mort, autrefois jeune musicien prodige et chéri par son entourage, n’est-ce pas une manière d’obtenir de la reconnaissance, lui qui, à un âge avancé, peine à attirer l’attention des gens en jouant dans la rue ? Le comportement des différents personnages pose lui aussi question : croient-ils vraiment à la supercherie ou préfèrent-ils s’aveugler par désir de retrouver l’être aimé ?


Chemin faisant, « Tralala » se transforme en réflexion musicale sur l’identité et les rapports humains : « Ne soyez pas vous-mêmes » lancera la jeune fille à Tralala, phrase décisive qui le lancera dans sa quête de fausse identité. Peut-être qu’au final, les êtres ne sont jamais aimés pour eux, mais pour le fantasme que les autres ont d’eux. Et à ce moment-là, peu importe l’enveloppe que ce fantasme prendra, tant qu’il correspondra aux attentes des proches. Mais c’est aussi par rapport à cette image idéalisée, cette icône (un peu comme les effigies de la Vierge Marie vendues à Lourdes, censées porter bonheur) que les autres acquièrent la capacité de se révéler à eux-mêmes : au contact d’un Tralala travesti, plus d’un trouvera sa voie…


Oui, en tout cela, on peut dire que Tralala est innovant ; parce qu’il nous entraîne sur des chemins qu’on ne soupçonnait pas. Seulement voilà : il manque encore quelque chose à ce film pour être tout à fait réussi. Il y a encore un peu trop de bons sentiments, de bondieuseries. Les scènes avec le prêtre sont symptomatiques de cela : pleines de jolies phrases creuses (« -Vous pensez que Dieu improvise ? -C’est même ce qu’il fait de mieux) et de tendresse factice. Il en va de même pour certaines séquences de liesse, ou encore pour les retrouvailles de Tralala et de Virginie : elles sont remplies de feel-good un peu inutiles, et même-oui, malheureusement- un peu téléphonées. Certes, on peut se dire qu’il s’agit de moments mineurs dans le film, et peut-être même de passages obligés inhérents au genre dans lequel il s’inscrit. Mais rien n’y fait : ces moments parasitent le plaisir que l’on prenait jusque-là. Ils ramènent Tralala à sa dimension de comédie musicale un peu gnangnan dont les frères Larrieu réussissent la plupart du temps à l’éloigner. Et ils nous empêchent de trouver le film tout à fait bon, malgré nos efforts. Sans rancune, on se consolera avec le répertoire musical, qui propose à ses heures de vraiment belles chansons…

DanyB
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le 9 oct. 2021

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Dany Selwyn

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