3 angles assymétriques mais une symbiose merveilleuse

Ça faisait un moment que j'avais le DVD mais je retardai de toutes mes forces le visionnage.
Triangle a une notoriété de film bancal, médiocre. J'avais très peur de ne pas aimer le film, alors que j'adore infiniment ses 3 réals.
Alors je préférai bêtement me dire que la réunion de ces 3 grands monsieur pouvait donner un chef d'œuvre potentiel, plutôt que d'être fixé sur la qualité sans doute vaine de leur collaboration.


Mais aujourd'hui j'étais en manque de film de Tsui Hark. De Lam aussi. Et de To bien sûr. J'avais envie de revoir Koo, Yam et si y'a du Gordon Lam dans le lot alors c'est que du bonus.


Autrement dit, j'ai cédé. Et j'ai regardé Triangle.


Et les gars, vous êtes mauvaise langue. Le film est très cool.


Il est évident que l'expérience du film tient dans ses 3 réals qui se succèdent, et que ça a du en perturber certain.
Que ce soit bien clair : si vous ne connaissez pas les réals, ni le cinéma de HK, il est absolument stupide de regarder Triangle.
Mais quand on connaît et qu'on aime, ce film est du caviar.
Et il est ultra intéressant à analyser et à comprendre.


1/On commence par le segment de Mr Tsui. Comme d'habitude (surtout à cette époque) la caméra est nerveuse, les plans s'enchaînent avec un montage vif et percutant.
J'ai tendance à penser que ce petit Hark a décidé d'en faire qu'à sa tête.
Il a donc créé un petit bordel en ouvrant 1001 sous intrigues pour taquiner ses successeurs qui l'ont sûrement maudit quand ils ont découvert toutes les portes qu'ils allaient devoir refermer.


L'intrigue est dévoilée subtilement, à un rythme judicieux, mais l'assemblage d'informations secondaires peut paraître un peu indigeste.
Évidemment on retrouve des codes classiques au cinéma HK.
Les Triades qui oppressent et menacent.
Les habitants désabusés en manque d'argent.
Les ruelles poisseuses et labyrinthiques, qui serpentent dans une ville blindée de vie.
Très franchement cette introduction est efficace. Elle pose des bases qu'on devine instables, et on est curieux de savoir la suite.


Il faut tout de même noter que Tsui n'a pas beaucoup de sympathie envers ses personnages. Il aime au contraire les malmener, et en faire des pantins corrompus par leurs problèmes et leurs vices.
Ainsi donc le ton est posé, on ne suivra pas des héros au grand cœur. Mais probablement plutôt des êtres instables et dangereux, comme Tsui essaye de nous le faire comprendre à certains moments difficiles.
Le tout bordé de mystère évidemment, n'oublions pas que Tsui Hark est un sadique.


(notons également que le réal oriente clairement son récit sur certain point, en refermant lui même 2 ou 3 portes de l'intrigue, pour clairement imposer aux réalisateurs suivant la route à suivre).


Une introduction efficace. Un peu bouillonnante et étrange.
Elle se finit sur certaine explosion, le stress et la tension s'arrêtent...
Et maintenant c'est au tour de Lam./


2/Lam s'occupe du segment central. Donc de transition. Un rôle difficile, car on pourrait penser que le milieu n'est qu'un remplissage avant d'atteindre la conclusion.


En effet, Lam prend son temps. Le rythme est moins nerveux que dans la première partie.
Lam développe ses personnages, les humanise.
Évidemment on retrouve ce côté policier très cru et oppressant, cher à son réalisateur. Et ça fonctionne parfaitement dans le récit.
Les trahisons commencent à émerger, les mensonges et les coups du sort aussi.
On comprend que l'amitié instaurée par Tsui Hark n'est pas si soudée en réalité.
Et Ringo Lam se permet d'autres petits revirements astucieux sans pour autant dénaturer l'œuvre de base.


Lam est plus posé, plus lucide. Et donc plus froid.
Le contraste est évident, mais ça offre au récit une certaine remise en question.
Le début était vif et branlant, la suite est plus sèche et stressante.


On retrouve ici aussi un petit côté thriller psychologique, que Lam aime expérimenter depuis Full Alert et The Victim.
Une psychologie effrayante, qui semble presque paranormale à certain moment. Un état paranoïaque qui abouti à une fin de segment qui semble presque fermer le film à elle toute seule.
En réalité, cette fin à pour but de rediriger le film afin de ne pas le laisser se perdre. Et Ringo Lam, grand prince qu'il est, se propose de fermer quelques portes ouvertes par Tsui Hark afin de ne pas laisser tout le travail à To en dernière partie.


Le 2ème segment agit comme une remise en question des personnages, ainsi que de l'intrigue.
Le tout est cohérent, fidèle, mais aussi très glauque et noir. Un point de non retour, pour tout le monde. Où les masques tombent, ou les horreurs se succèdent sans que personne ne puissent reculer.
Accueillant de ce fait l'inévitable fin purificatrice./


3/C'est alors au tour de To, au sommet de sa gloire à ce moment là. Ayant la plus grande renommée occidentale des 3 bonhommes.
A vrai dire, la plupart de ceux qui sont allé voir Triangle espérez voir un film de To.
Naturellement ils ont été déçu, et ont arrêté le film au 2 tiers. Pile quand le segment de To devait commencer.
Bien fait pour vous !


D'autant que la dernière partie, c'est du Johnnie To pure souche.
Et c'est à ce moment là que m'est apparu un petit problème du film, que cette 3ème partie m'a fait réaliser.
Mais on y reviendra en conclusion..


Cette partie a pour but de terminer l'histoire. Donc évidemment, To n'écrit pas de nouvelles sous intrigues et ce contente du matériaux qu'on lui a laissé.
Il n'hésite cependant pas à ajouter des acteurs de la grande famille To, qui n'apparaissent donc que dans les 30 dernières minutes.
Étonnamment je n'ai pas trouvé ça très perturbant. J'ai même trouvé ça assez astucieux, comme si le récit très recentré et claustrophobe de Lam prenait finalement un peu d'ouverture et d'exotisme.
Les personnages s'ouvrent, le monde aussi.
Le récit perd en noirceur et gagne en légèreté bien venue.
La fuite devient un moyen de respirer, comme une petite évasion.
Mais comme toujours chez To (et puis parce qu'il faut bien conclure quand même !)
Le passé rattrape toujours. La confrontation est inevitable. Et tout se rejoint, presque de façon grotesque, comme un mauvais coup du sort. Comme un karma qui retrouve son équilibre, dans toute sa juste injustice.
On échappe pas à son passé, ni à ses erreurs.
Et évidemment, le tout ne pouvait que finir en une fantastique fusillade croisée. Sans éviter quelques légèretés humoristiques propres au réal.


Tout est formidablement bien construit.
Si bien qu'on a l'impression d'une 3ème partie qui fait office de film à elle seule.
La recherche, la rencontre d'un personnage sans doute pas anecdotique.
On trouve ce qu'on cherche. La tension est folle pour l'obtenir.
Tout va bien, et bim un élément déclencheur.
On fait avec, mais en voilà un nouveau.
Le retour de ce personnage de début de 3ème partie.
Alors tout devient sous tension, prêt à exploser.
Et bien sûr, ça explose.


Et ça explose magistralement.
Les fusillades sont toujours aussi géniales et To-esques. C'est juste génial à regarder.


Et pour la fusillade abouti sur la toute fin du film, plus douce, mais avec une petite ouverture bien pensée./


Il est clairement impossible de parler de Triangle en quelques lignes comme je viens de le faire.
J'ai surtout voulu insister sur le fait que quand on prend le temps de s'y pencher, le film est d'une richesse absolue.


Alors évidemment, le tout semble assez décousu.
Le film est divisible en 3, et ça peut en rebuter certain.
Mais ce changement de ton et de mise en scène peut parfaitement être justifié par le récit !
Pour moi, le problème n'est pas là.
Le souci vient surtout du fait que les 3 réalisateurs n'ont pas la même façon d'écrire leur personnage.
- Tsui Hark à ce sadisme complaisant d'en faire des parias.
- Lam leur témoigne une approche plus distancielle, en en faisant des victimes évoluant dans une société les enfonçant dans leur misère.
- To lui leur témoigne un profond amour et une grande admiration.
On sent donc que les réalisateurs ont pensé les personnages assez différemment avec une attention qui leur correspond.
Mais à la fin, To semble aimer tout le monde, évitant un peu les remords qu'ils ont développés durant les autres parties.


Cette idée se concrétise avec le personnage de Kelly Lin.
- Tsui la montre comme une femme malveillante et cinglée.
- Lam la définit comme un fantôme, qui n'existe que pour correspondre à la vision que son entourage souhaite avoir d'elle. La rendant psychotique, lunatique et mentalement instable.
- To la montre à la fin comme une femme de nouveau lucide, à la limite un peu décalée mais attachante...


J'avoue que ce personnage m'a pas mal dérangé à la fin, car je la considérai vraiment comme le poison de l'intrigue, et j'ai eu du mal avec le revirement que To a essayé d'entreprendre avec elle.


Et c'est représentatif d'une personnalité, que chaque réal possède.
Et c'est finalement une bonne chose.
Car l'approche nerveuse et épileptique de Tsui définissait bien la colère bouillonnante de personnages prêts à tout.
Une fois le coup fait, c'est Lam qui s'occupe de leurs états d'âme. De leur mal-être évident qui devient leur seule compagnie.
Et après cette remise en question et l'acceptation de ses démons, To s'occupe de la renaissance, de la direction à prendre pour satisfaire son karma. Même si l'histoire doit se finir dans le sang et les pleurs.


Triangle est un film complet.
Un film génial a regardant, même si assez déroutant dans ses différents tons.
Mais il est surtout passionnant à analyser et à interpréter.


Dites vous bien que Tsui Hark et Ringo Lam on déjà fait un film ensemble. Twin Dragons en 1992, qui ressemblait juste à un film de Jackie Chan (ça ne l'empêche pas d'être très cool).
Les 2 réals (+ Chan) devaient se mettre d'accord malgré leur personnalité très différente. Ce qui a donné un film qui ne ressemble à aucun d'entre eux.


Ici les réals avaient carte blanche, chacun de leur côté.
Ils y ont mis toute leur personnalité, en faisant un réal travail de sorte à rester fidèle au travail des autres, avec un respect et une droiture admirable.


Le film date de 2007, à une époque où le cinéma de HK était assez branlant.
C'est à ce moment là que 3 grands réalisateurs ont tenté cette expérience délicate et compliquée.
Et je sens qu'ils ont été ultra impliqués et libres dans ce projet. Et ça m'enchante vraiment.


To lui même a du beaucoup apprécié son expérience, car ça l'a clairement inspiré pour son film Mad Detective sorti la même année, dont il reprendra quelques idées de Triangle.


Alors oui le projet était casse gueule, mais de mon côté je suis persuadé qu'on a eu le meilleur film possible.

Créée

le 3 mars 2021

Critique lue 343 fois

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Sacré_vandale

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