John Hillcoat a pris pour habitude de s’attaquer à différents genres pour les remodeler à sa façon, partir du classique pour offrir quelque chose d’original et d’inédit. Dans cette optique on se souvient surtout de ses trois derniers films, car en raison d’un début de carrière difficile ses deux premiers films sont passés inaperçus par chez nous, où il s’est attaqué avec brio au western, au road movie post-apo et au film de gangsters. Le voir se tourner vers le film policier pour son dernier long-métrage n’est donc pas surprenant et offre la promesse d’un renouveau pour un genre éculé qui s’embourbe dans la routine et l’ennui. Encore auréolé de son succès avec son The Road, il se munit ici d’un casting vaste et prestigieux pour un film qui nous est vendu comme le digne successeur du grandiose Heat de Michael Mann.


De prime abord, le scénario se montre déstabilisant. Multipliant les personnages et les points de vue quitte à embrasser les versants du film choral, tout en choisissant une forme elliptique où plusieurs jours peuvent se passer d’une scène à l’autre sans que cela soit mentionné, le film a une narration éparse qui se montre globalement confuse. Même si cela apporte de bons côtés comme la présence d’une intrigue allant droit au but, parvenant à éviter les digressions, et un certain sentimentalisme lourdaud, cela amène surtout un rythme incroyablement maîtrisé entre explosions d’adrénalines et moments plus lents, qui permet avant tout de faire une étude implacable et millimétrée de la spirale de la violence. Mais pour contrebalancer, cette forme du récit limite le champ d’action des personnages, beaucoup sont ainsi mis de côté et ne servent que d’éléments narratifs. Même si trois ou quatre sortent du lot et apporte un background plus convaincant, tout cela reste très limité et diffus. La relation qu’entretient le chef des braqueurs avec la mafia russe en est le parfait exemple. Néanmoins, malgré ses lacunes, le scénario fonctionne. Les dialogues sont suffisamment bien écrits pour rendre clairs les relations et enjeux moraux des personnages et le fatalisme du propos fait de l’ensemble une œuvre nihiliste et jusqu’au-boutiste qui fait sens dans la mesure où elle retranscrit avec justesse et réalisme la violence de cet univers. Plus que le destin des personnages ou les rouages de cette affaire, le film s’intéresse aux répercussions de ce style de vie qui impacte tout le monde pour que chacun paie le prix des décisions des autres d’une manière ou d’une autre. Le crime et la violence ont leurs propres codes et leurs règles, et le récit parvient à les décortiquer sans concessions et sans tomber dans la moralisation. Ce qui en fait toute sa saveur.
En raison de la sous-exploitation de certains personnages, il était à craindre que certains acteurs aient à en pâtir. C’est le cas de Gal Gadot dont l’importance peine à justifier d’un rôle dans ce polar. On regrettera aussi que d’autres soient cantonnés à des rôles bien trop caricaturaux comme Casey Affleck, effacé en flic chevronné, Kate Winslet, pas particulièrement mémorable en chef de la mafia russe, ou Aaron Paul, qui reste dans le même registre de jeu que dans Breaking Bad mais en bien plus stéréotypé ici. Heureusement certains acteurs arrivent à sortir des sentiers battus, quitte à donner de leur personne. On pense notamment à Chiwetel Ejiofor, impeccable en braqueur à la psychologie trouble, jouant ici le rôle le plus nuancé du film, Anthony Mackie parvenant à transmettre avec beaucoup de justesse les enjeux moraux d’un flic ripou entre sens du devoir et besoin de se protéger à tout prix et Woody Harrelson excellent dans son rôle de flic bourru, plus complexe et intéressant qu’il n’y parait.
Le travail de réalisation sur l’esthétisation de la violence est vraiment bien pensé. Bien aidé par une photographie granuleuse et sèche qui joue beaucoup sur les nuances de rouges pour retranscrire une atmosphère sale et malaisante, le film se fait d’ailleurs le pari d’utiliser le rouge du sang qui ici, éclabousse littéralement l’écran, imprègne la rétine et tache l’image dans chaque plan. Le rouge est ainsi omniprésent et accentue bien le propos du film grâce à des jeux de lumières et de couleurs astucieux. Le montage elliptique est bien géré, ne se perd jamais dans le rythme ni dans l’action grâce à un découpage nerveux qui facilite la lisibilité et appuie sur l’aspect viscéral des scènes, le tout étant aussi soutenu par une musique prenante et brutale signée Atticus Ross. La mise en scène de John Hillcoat est donc tendue, presque documentaire dans sa manière de retransmettre la violence avec beaucoup de réalisme à travers de formidables scènes d’actions et de tension. Citant Michael Mann ou Sam Peckinpah sans jamais les plagier ou se laisser submerger par les influences. Hillcoat arrive à trouver un bon équilibre pour signer un film qui lui est propre. On peut par contre regretter qu’il ne chamboule pas plus que ça le polar, même s’il prend une approche que l’on ne voit que trop peu ces dernières années.


En conclusion Triple 9 est un très bon film. Polar solide, tendu et implacable mais pas aussi révolutionnaire que l’on aurait pu s’y attendre, surtout de la part de John Hillcoat, Triple 9 tire surtout son originalité de l’approche choisi par son scénario qui entraîne hélas une narration confuse et un traitement des personnages qui restent en surface n’impliquant pas le spectateur. La mise en scène reste toutefois de haute voltige et permet d’avoir une œuvre rondement menée, accompagnée d’un casting globalement bon mais aux fulgurances un peu timides. A défaut de se retrouver devant le renouveau du film policier, on se retrouve quand même devant sa meilleure itération depuis années. Une œuvre, très satisfaisante malgré ses imperfections et qui parvient à créer de vraies moments de tension et de belles sensations de cinéma.


Critique sur cineseries-mag.fr

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le 18 mars 2016

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Flaw 70

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