Tuer !
7.2
Tuer !

Film de Kenji Misumi (1962)

Ce n'est certainement pas le premier chanbara que je vois, et sans pour autant avoir une culture particulièrement aiguisée sur le sujet, Kiru aka "Tuer !" est de très loin le film le plus vif, le plus tranchant, et le plus concis que j'aie vu dans ce registre. Cette histoire de samouraï ne brille pas forcément par l'originalité de ses thématiques ou par la sagacité de son déroulement, mais en revanche elle claque comme un coup de fouet grâce à quelques excellentes dispositions. Un maniement très efficace de l'ellipse, une simplicité narrative qui confine à l'épure, et la multiplication de motifs visuels acérés — on reconnaît là le style si singulier de Misumi, le futur réalisateur de la série des Baby Cart dix ans plus tard, au début des années 70, avec une ambiance plus portée sur la série B, une stylisation poussée à l'extrême et une violence grandement accrue. Ici, on se situe vraiment sur un territoire brillant et lapidaire, l'équivalent au cinéma d'un haïku sur le maniement du sabre.


On peut vraiment parler d'art dans la manipulation de l'ellipse de la part de Misumi tant elles font évoluer le récit par soubresauts imprévisibles, comblant des fenêtres de quelques heures à plusieurs années, bondissant d'un plan ultra-esthétique à un autre, rappelant régulièrement certaines séquences et certains visages marquants.


Le protagoniste Takakura Shingo, interprété par Raizō Ichikawa (un acteur remarquable, jeune ninja dans Le Secret du ninja, victime d'un complot dans Le Héros sacrilège, moine incendiaire dans Le Pavillon d'or, soumis au matriarcat dans Le Fils de famille), est devenu un samouraï expert au terme d'un voyage initiatique. C'est notamment au travers d'une botte agressive particulière qu'il se fait connaître, le katana tenu comme un instrument de musique pointant en direction de la gorge de l'adversaire : une des premières scènes le montre affrontant un inconnu redoutable venu défier son clan et elle impose une image parmi les plus fortes. Avec son sabre en bois, l'étranger humilie les sabreurs les uns après les autres, et lorsque vient le tour de Shingo ce dernier se saisit d'un véritable sabre et tient sa posture unique. Il n'y aura même pas de combat, puisque l'adversaire sera terrassé au terme d'un affrontement psychologique complètement lunaire.


L'expression de son habileté de bretteur s'effectuera en parallèle d'une quête identitaire très personnelle, tandis qu'il apprend progressivement les détails de son passé (adoption pendant l'enfance suite à une tragédie parentale cachée, donnant lieu à une série de petites séquences-symboles magnifiques). Probablement que la contribution de Kaneto Shindō à l'écriture du scénario est pour beaucoup dans l'efficacité du récit, la beauté de sa simplicité rejoignant l'éloquence de la mise en scène, avec une pointe de fatalité — il faut dire que le Shingo traîne autant la mort dans son sillage (sublime plan montrant de très loin le corps de l'ennemi coupé en deux, verticalement) qu'il ne l'attire pour son entourage (énième scène géniale où une connaissance féminine se sacrifie pour permettre l'évasion d'un tiers, seule et nue contre un régiment de samouraïs). Un chanbara qui ne resplendit pas par la profondeur de sa matière mais par la concision de sa poésie acérée.


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Morrinson
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le 24 mai 2024

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