1929. Le premier plan quinquennal touche à sa fin en URSS avec dans son sillage de multiples projets titanesques ayant pour but le développement économique d’un pays immense, aux populations diverses et variées. Et quoi que de tel que le média cinématographique pour en faire la propagande ! Turksib est un film de commande du régime soviétique portant sur la réalisation d’une ligne de chemin de fer entre le Turkestan (au sud du Kazakhstan) et la Sibérie. Un chantier pharaonique de + de 2000 km dont ce film parvient à en épouser l’ampleur, étant lui-même un projet cinématographique colossal. Si le cinéma documentaire avait déjà repoussé pas mal de limites dans les années 1920 en se faisant le rapporteur d’images provenant de territoires hostiles (on se souviendra du précurseur Nanouk l’esquimau), Turksib y apporte en plus une certaine inventivité formelle.
Le film divisé en 5 chapitres prend alors des allures d’épopée, partant des problématiques agricoles rencontrées dans les terres arides du Turkestan pour aboutir au quasi-achèvement du projet (parce que oui le glorieux régime ne peut pas non plus repousser les limites physiques, faut pas déconner). De manière générale Turksib traite d’un contraste entre deux mondes, entre les traditions de ces tribus éloignées et l’arrivée tonitruante de ce progrès technique. Progrès matérialisé par le train qui débarque comme une solution providentielle face aux habitudes ancestrales mises à mal par les éléments naturels. Le film prend d’ailleurs le temps d’évoquer ces contraintes, entre les cultures desséchées par le manque d’eau et ces tempêtes impressionnantes. En cela la propagande est habile, orientée forcément dans le sens de cet apport du progrès mais sans pour autant reléguer au second plan ces populations isolées dans ces contrées reculées. C’est la représentation d’un monde d’avant face à un monde qui bouge, en témoigne ce magnifique plan où les nomades chevauchent en compagnie du cheval de fer.
Le film frappe vraiment par la beauté de ses plans mais également par le dynamisme de son montage qui parvient à merveille à osciller entre le calme de cette nature sauvage et la frénésie du chantier qui avance. Entre plans larges faisant la part belle aux éléments et plans rapprochés faisant la part belle aux gestes de ces personnes au travail, le film donne une impression continuelle de mouvement. Le ressenti filmique d'une civilisation qui avance et dompte les éléments. La vitalité de ces images est toujours aussi captivante, et ce plus d’un siècle après le tournage. Turksib mérite définitivement d’être redécouvert en sa qualité de documentaire formellement réussi et de témoignage historique précieux d’une politique et d'une époque révolues.