Prolétaire de l'espace
Une odyssée de l'espace à la sauce ukrainienne ne peut ressembler à son équivalent américain, non seulement en fonction des moyens alloués mais aussi par l'état d'esprit. Pavlo Ostrikov a mis 7 ans...
le 11 nov. 2024
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Film vu dans le cadre du festival "Hallucinations Collectives".
Film en lice pour la compétition "longs métrages".
Film lauréat du Prix du jury.
Film lauréat du Grand prix du public.
On peut à notre corps défendant, biberonnés que nous l'avons été au cinéma hollywoodien et à l'implacable efficacité du "soft power" culturel américain, qui n'est au final que l'expression la plus souple d'une propagande, poser sur le cinéma d'Europe de l'est un regard entre distanciation amusée et clichés éculés et erronés. Heureusement, cette pensée inoculée par des décennies d'hostilités idéologiques auxquelles finalement peu d'entre nous pouvons apporter une analyse exhaustive, tend à disparaitre. Nous permettant de redécouvrir un pan entier du cinéma avec les sorties de collections thématiques, comme par exemple l'éditeur Artus Films qui a récemment ajouté à son catalogue de très belles éditions de films de science-fiction produits dans d'anciens pays du bloc soviétique. Des films parfois oubliés ou connus des spécialistes, mais dont on constate de façon flagrante, que techniquement ils n'ont pas à rougir de la comparaison avec les standards de qualité occidentaux et qu'ils ne sont pas davantage des véhicules de propagande politique que n'ont pu l'être les films d'Hollywood.
Si j'entame ma chronique avec ce paragraphe "politique" c'est qu'on serait tenté de s'imaginer qu'un film de science fiction ukrainien, dans le contexte actuel, sera forcément imbibé de sous textes et de couches à analyser à l'aune des événements géopolitiques qui secouent le pays. Or quelque soit son orientation et son opinion sur cette crise, je peux tout à fait admettre que cette idée puisse rebuter. Que ce frein ne vous prive pas de la découverte de ce film en tous points remarquable, car pas un des éléments qui le constitue ne répond à une lecture symbolique, allégorique ou frontale au conflit qui ensanglante la région. Tout juste si comme moi, vous pensez que même la comédie la plus crade, revêt un message politique assumé ou pas, pourra t'on suspecter une mise en garde très dilettante sur le nucléaire.
Andriy est un chauffeur routier de l'espace, dans un avenir pas vraiment daté mais qu'on imagine assez lointain pour que les voyages au sein de notre système solaire soient de l'ordre du commun et pas si éloigné non plus de notre présent pour que les technologies nous paraissent vraisemblables, il a en charge le transport dans son vaisseau cargo de containers poubelles où sont disposés les déchets nucléaires de la planète, vers une des lunes de Jupiter où il doit les larguer. Cette mission de routine dure 4 ans et il la conduit seul, à l'exception d'un robot programmé autant comme assistant technique, que comme compagnon de voyage. Si finalement le côté science fictionnel sur lequel le film se vend est à mon sens très marginal, se limitant aux éléments déjà mentionnés, il joue sur diverses partitions et emprunte à plusieurs genres.
Je m'explique, dans un premier mouvement introductif, on peut recevoir le film comme social avec ses notions de travailleurs en charge des tâches pénibles et guère valorisantes, Andriy est un éboueur de l'espace, mais un éboueur quand même, contraint par une hiérarchie autoritaire, menacé de coupes drastiques sur son salaire, le tout au service d'une élite invisible. Les notes jouent en même temps un air de comédie, franchement drôle où les deux principaux et uniques personnages deviennent dans leurs échanges, leurs relations, des incarnations classique du duo comique au cinéma ou de celle de la paire pas tout à fait assortie du "buddy movie". Comme un aria vient ensuite l'événement cataclysmique qui va justifier le postulat du film, la destruction totale de la terre, conduisant le film dans un nouveau genre, le post-apo doublé d'un film survivaliste. Cette nouvelle composition mariant avec beaucoup d'élégance des éléments du thriller à des ingrédients philosophiques et d'épouvante larvée. On nous questionne par exemple sur notre rapport à la mort. Que ferions nous en pareilles situation ? Brûlerions nous nos ressources dans une dernière orgie ou rationnerions nous nos richesses pour survivre plus longtemps ? Le temps qui nous est imparti est il voué à nous morfondre ou à oser enfin vivre à fond ? Et ainsi petit à petit ce film, qui d'une idée de départ assez simple, développe des thématiques profondes et les traites avec une intelligence et une sincérité nous attrape et nous conquiert.
Lorsque survient, ce n'est pas une surprise, la chose est mentionnée dès le synopsis, l'ultime bascule, à savoir la réception de messages provenant d'un autre vaisseau spatial en orbite lui autour de Saturne où une spationaute française était en mission scientifique. Ces messages seront l'entame d'un échange entre les deux naufragés de l'espace qui alimentera d'abord un objectif de survie et de secours à apporter pour Andriy, qui trouvera là une ultime raison de vivre, puis deviendra une romance à distance, emmenant le film vers encore autre chose.
Tous ces ingrédients disparates, auraient pu au final composer un ensemble indigeste, foutraque, maladroit, mais bien au contraire, leurs dosages précis, leurs imbrications subtiles dans le scénario, le montage et la progression dramatique rendent le tout délicieux. Les émotions ressenties sont aussi variées que réelles, on est ému par un moment de pure poésie, puis amusé par un dialogue avant de verser notre larme face à un drame total et tout ceci sans que jamais le film ne vienne appuyer quoi que ce soit, son écriture se suffit à elle même, sa direction ne sert que l'intrigue et quand il se permet un clin d'œil génial à Kubrick avec un élément de mobilier c'est juste du kif.
Un autre écueil qui est celui du personnage unique en huis clos, car en dehors de Andriy, ses interactions ne le sont qu'avec des voix, est brillamment passé grâce à l'acteur Volodymyr Kravchuk qui transcende son rôle et aux dialogues ponctués d'accents de légèretés ou de gravités dans un équilibre aussi notable et plaisant que l'équilibre général qui ressort de ce film pas loin de la perfection.
Je voudrais en conclusion évoquer la mémoire du responsable des effets spéciaux, qui pour des raisons budgétaires évidentes a fait le choix de privilégier les effets pratiques aux CGI, et qui a fourni un travail fabuleux dont le résultat à l'écran est sidérant malheureusement il n'aura pas pu voir le film terminé et monté, tué qu'il a été sur le front de la guerre avec la Russie.
Et si finalement il n'était pas là le sous texte politique du film ?
Tandis que le film écume les festivals à travers le monde et qu'en France hors mis lors d'un festival il n'était pas prévu de sortie salle, les programmateurs des hallus ont appris qu'un distributeur s'était porté acquéreur et qu'une sortie salle générale allait bien avoir lieu aux alentours de juillet ou août.
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Créée
le 29 avr. 2025
Critique lue 9 fois
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