Un jeune homme s’extirpe indemne d’une voiture renversée dans la campagne.


C’est Dimitri. Bientôt, il charge des fournitures dans sa voiture sous les yeux curieux de Cathy et Jeanne, boit le café avec ses collègues dans un snack anonyme le long de la route, ou encore se caresse la main longuement dans un bas de nylon. Jeanne et Cathy ont toutes deux des sentiments pour le jeune homme timide, se lisent les lignes de la main dans l’entrepôt de mobilier où elles travaillent, et se confient leurs misères et leurs espoirs, parfois complices parfois l’une contre l’autre.



Tranches de monotonie de la survie quotidienne.




J’ai assez pleuré quand j’étais petite, j’veux plus pleurer.



Bouli Lanners filme les routes de Wallonie et les cieux gris et lourds dans un cinéma aéré toujours en mouvement, suit des personnages ordinaires sans boussole, délaissés par le destin et qui tous attendent quelque chose d’incertain dans une Belgique terne et crépusculaire. Sans jamais d’intermédiaire entre les plans d’ensemble et les gros plans, le réalisateur place ses personnages dans



d’immenses solitudes naturelles



avant de leur tailler le portrait au plus près, la détresse tue, presque niée, des hommes dans une existence lente et morne, la monotonie routinière qui ne se brise que dans la disparition et la douleur, les espoirs jamais réalisés mais toujours inchangés. Les larmes du commercial derrière le volant disent l’impuissance à prendre en main sa propre existence dans un système qui attend un certain dévouement, un engagement soumis et une abnégation dans l’oubli de soi. Il y a



une poésie technique et industrielle de l’abandon,



de la difficulté des connexions humaines, du poids des non-dits.



Hier j’me foutais d’sa gueule et aujourd’hui il est plus là.



Il y a surtout un constat amer et mélancolique d’une modernité et d’une société qui laisse l’humain, les sentiments, la simplicité, sur le bord de la route. Qui nous tirent vers le don d’un corps et l’abandon de l’âme : une société schizophrène qui nous pousse à enterrer l’individu et ses spécificités, ses bizarreries, ses extravagances, tout ce qu’il est profondément, au profit d’une neutralité investie dans le rendement. Mais les personnages de Bouli Lanners ne peuvent s’y résoudre et de cette humanité essentielle tous deviennent des inadaptés sociaux, trop accrochés à leur simplicité et à leurs sentiments pour se laisser happer par le vide sans rechigner, sans y réfléchir ni, chacun à sa manière, aussi humble soit-elle, tenter de s’y absoudre, même un trop court instant.



Il s’est pas suicidé, il est mort d’une overdose de vie de con, moi
j’veux pas finir comme ça.



L’excellente musique de Jarby McCoy enveloppe le film d’une urgence de l’homme. Tout est à échelle dans le cinéma de Bouli Lanners. Ultranova c’est l’inverse de l’explosion soudaine, de cette lumière cosmique qui témoigne à distance de la vie passée d’une étoile. Ultranova, c’est le délitement, l’extinction progressive, le fragile équilibre entre l’espoir et l’envahissement des ténèbres, un microcosme de la merditude moyenne des choses que personne ne sait réellement comment arranger et dans laquelle tout le monde se contente de chercher comme il peut son compte.



Un film aux reliefs mornes, infimes,



aux décors gris et tristes, mais aux personnages vivants, indéniablement, et lumineux. Un film qui sait reconnaitre et mettre à l’honneur ces lueurs faibles, infimes mais vibrantes, qui continuent de nous éclairer même au plus sombre, nous tirant vers demain, vers l’espoir, vers le meilleur.

Créée

le 25 janv. 2016

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