Sexe, mensonge et cinéma à Lausanne

Dans ce film intimiste, Lionel Baier porte un regard provocateur sur l'essence de la critique cinématographique. Il réalise une satire sociale sur le désir et l'envie d'être reconnu, dans un récit d’initiation qui dessine le portrait et suit l’évolution d’un nouveau Bel-Ami, personnage qui va nous paraitre à la fois détestable et attachant.


François vient d’emménager avec sa copine dans la vallée de Joux, sorte de Sibérie Vaudoise, à une heure de route de Lausanne. Son diplôme d’études sur le français médiéval lui offrant peu de débouchés professionnels, il accepte le poste de journaliste que lui propose le directeur d’un petit hebdomadaire du coin. En dépit de son manque d'expérience, il sera responsable des informations locales et de la critique du film programmé chaque mercredi dans le cinéma du village. A la lecture des critiques rédigées par son prédécesseur il ne trouve que platitude, banalités, lieux communs et approbation béate. Cela répond à l’envie de la programmatrice du cinéma et au goût des lecteurs. Lui a d’autres ambitions, mais peu familier du 7e art, il plagie les critiques d’une revue spécialisée pointue. Se prenant au jeu, il se rend bientôt régulièrement à Lausanne pour assister aux projections de presse. Il ne connait personne, n’a pas les bons codes, ni le vocabulaire ad’hoc mais il est fasciné par les quelques journalistes présents et en particulier par une jeune femme, critique de films au sein du plus grand quotidien suisse. Il tombe sous le charme de cette femme. Elle l’initie au milieu de la critique, projections de presse, émissions de radio et conversations de spécialistes teintées de suffisance et de futilité. Elle va aussi s’amuser de son innocence et prendre un malin plaisir à le manipuler pour en jouir à sa guise. On aura droit en particulier à une initiation au maniement des baguettes utilisées dans la cuisine asiatique (Cf affiche du film) dont la fonction va dévier vers une savoureuse initiation et domination érotique. Au sens propre, elle va prendre les choses en main et lui va marcher à la baguette !


Tout cela va entraîner François dans une double vie, un tourbillon de désir, de mensonges et d’impostures. L’intrigue se noue autour de nombreuses oppositions, qu’il s’agisse de contrastes régionaux, sociaux ou humains. Lionel Baier joue pour cela des dissonances entre les deux univers, la ville et la campagne profonde, distant seulement d’une cinquantaine de kilomètres, mais que tout oppose. Contraste géographique, mais aussi sociologique qui oppose les urbains au verbe et aux rituels codifiés à la simplicité des villageois, le paraitre des uns au naturel des autres, le grand quotidien Vaudois dont le bureau directorial domine toute la ville au petit hebdomadaire local qui sent l’encre et les ronéos, les salles de cinéma réservées aux projections privées à la petite salle de village. Contraste psychologique aussi, qui fait de François à Lausanne le plouc qui subit les vexations de ses confrères et qui se conduit comme un arrogant pédant dans son village.


Un Autre Homme est un film sur le désir de reconnaissance, de notoriété ; sur la quête d’identité d’un adulte confronté à des jeux de pouvoir et de domination qui vont le conduire à devenir un autre homme. Le film est tourné dans un très beau Noir & Blanc qui peut se voir comme un clin d’œil à la nouvelle vague, autant qu’une référence aux gravures sur bois et aux illustrations en noir et blanc de Félix Valloton, autre natif de Lausanne.

kinophil
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le 4 févr. 2022

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