La lenteur du pardon

Comment cohabiter avec l’ennemi en temps de guerre lorsque celui-ci a tué votre mari et qu’il tient l’arme qui peut vous ôter la vie ? Quel type d’existence est-il autorisé, qui ne conduise ni à se donner à l’ennemi, vilement, ni à le pardonner, ni non plus à nourrir un ressentiment qui pourrait conduire à vouloir venger l’affront subi de ses propres mains, c’est-à-dire, à se rendre justice ? Voilà le nœud dramatique auquel se trouve confronté le personnage de la veuve dans La Charrette pour Vienne.

Le réalisateur Karel Kachyňa construit un huis-clos minimaliste, avec très peu de personnages, un décor quasi immuable, une poignée d’objets, des dialogues rares, un rythme contemplatif et surtout un scénario d’une grande sobriété. Cependant, il parvient à tisser un récit plein de tension, à maintenir le spectateur en attente et à suggérer, dans le silence et la lenteur, une profondeur morale saisissante.

À travers le personnage du jeune soldat allemand, bienveillant mais suspect aux yeux de la veuve, Kachyňa engage une réflexion subtile sur les valeurs du Bien et du Mal en temps de guerre : l’ennemi n’est pas toujours celui que l’on croit, et la victime pas toujours celle que l’on imagine. Le film interroge ainsi la fragilité de la morale humaine face aux circonstances extrêmes, où la haine, la pitié et la culpabilité se confondent.

La photographie en noir et blanc, d’une beauté austère, participe pleinement à cette tension morale. Les lumières froides et la composition rigoureuse des plans traduisent visuellement la claustration des personnages autant que leur trouble intérieur.

Malgré les limites spatiales et narratives d’un tel minimalisme, et malgré une fin radicale mais cohérente avec la logique morale du récit, La Charrette pour Vienne s’impose comme une méditation sur la guerre, la vengeance et la rédemption impossible. Ce drame intimiste, d’une austérité presque théâtrale, démontre qu’un simple face-à-face peut suffire à dévoiler toute la complexité de la nature humaine.

6,5/10