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Premier film tunisien de Mehdi M. Barsaoui, "Un fils", est une tragédie mêlant l’intime et le politique avec une finesse remarquable, appuyée par de solides interprétations, dont Sami Bouajila, prix du meilleur acteur de la section Horrizonti au 76e Festival de Venise.


Dans l'ouverture de Un fils, la Tunisie semble apaisée, tranquille. Les sourires inondent les visages et la bonhomie ambiante rayonne autant que l’alcool coule à flots. Mais ce n’est peut-être qu’une question d’apparence. Lors d’un voyage anodin près de la frontière, les choses dérapent. Un coup de feu part. À l’allégresse cède rapidement la panique. Aziz, 9 ans, est touché.


Miroir de la Tunisie


C’est avec un postulat de départ très simple que débute le premier film de Mehdi M. Barsaoui. Une course contre la montre dans une Tunisie post 2011, à peine sortie de la dictature. Une Tunisie qui fait face au chaos politique dans son propre pays mais aussi dans la région frontalière à la Libye. En plaçant volontairement son film dans cette époque, le réalisateur tunisien envisage un parallèle osé mais réussi entre l’intime et le politique. Un couple aisé, avec ses idéaux, va être ramené à une réalité qui le dépasse. C’est alors un peu la Tunisie d’aujourd’hui. Et il est très beau de voir à l’œuvre comment le politique et le social vont progressivement contaminer ce qui relevait d’une chronique familiale dramatique.



"Parler frontalement de la révolution ne m’intéressait pas. C’était plutôt les conséquences de ces changements sur une famille. Cette famille, qui à travers le secret révélé dans le film, va rentrer en
mutation, à l’image du pays qui lui aussi est en plein changement par rapport au Président Ben Ali qui a été chassé du pouvoir
." souligne Mehdi M. Barsaoui dans une interview réalisée pour CinéSéries.



Le film arrive alors à nous accrocher à chaque instant grâce à un véritable sens de la narration. Au gré des différentes révélations, qui impulsent un rythme soutenu, Un fils fait de cette richesse thématique une vraie force. Tour à tour, il aborde la question de la filiation, des liens du couple, interroge l’amour. Mais c’est dans son volet à la fois social et politique qu’il est le plus intéressant. En décidant de placer ses protagonistes principaux comme une famille tunisienne aisée, le film instaure un rapport de classe très clair. La violence est inhérente à la société et aux confrontations de classes. L’hôpital en est la parfaite incarnation. Que ferions-nous ?


Loin d’être moralisateur, le long-métrage renvoie le spectateur à ses propres choix, à sa conscience. Il évite ainsi les écueils propres à la surenchère dramatique. Cela fait d’Un fils, un film sec, brutal et intelligent dans l’émotion qu’il cherche à susciter.


Isolés dans l'espace


Une justesse d’émotion qui doit beaucoup aux choix de mise en scène entrepris par le réalisateur. Un fils évite le spectaculaire, va dans l’épure et la sobriété. Des partis pris rejetant, de fait, l’esthétisation de la douleur pour tenter de capter une vérité de l’instant. Exit les artifices. Ce choix a le mérite d’être efficace et cohérent vis-à-vis de son scénario et du traitement de ses sujets. Autre choix impactant, celui de la caméra épaule et du scope qui donnent la sensation d’isolation des personnages dans les différents espaces filmés.


Des personnages magnifiquement interprétés par Sami Bouajila et Najla Ben Abdallah, mêlant tous les deux à la fois force et finesse. C'est un film que l'on peut facilement estampiller "film d'acteurs" tant l'alliance de leur jeu sert à chaque instant le propos du film. Et c'est étrangement dans les zones de silence que les deux comédiens apportent toute la délicatesse au film de Barsaoui. Les jeux autour des gestes, des regards, appuient la crédibilité de ce couple pris dans ces tourments dramatiques. Des silences qui racontent parfois plus que tout le reste. En cela, le cinéaste démontre sa croyance au pouvoir du cinéma et des acteurs.


Loin d’être original dans son approche plastique, le film avance sur des sentiers maintes fois battus et des choix devenus aujourd’hui la norme du cinéma-vérité. Il n’en reste pas moins émouvant, percutant et sincère dans sa démarche. Un premier geste de cinéma encourageant et prometteur pour un cinéaste qui a visiblement beaucoup de choses à dire.

JoRod
7
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le 11 mars 2020

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JoRod

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