Pour son premier long métrage, distribué par Arcadès, Mehdi Barsaoui nous emmène au cœur de sa Tunisie natale. Il fixe son intrigue, stratifiée, en 2011, en pleines révolutions arabes, au moment même où le général Kadhafi vit ses derniers instants au sommet de l’État libyen.


La révolution du jasmin, qui s’est déroulée du 17 décembre 2010 au 27 février 2011, a été perçue en Occident de manière ambivalente : les uns ont salué le soulèvement d’un peuple opprimé en quête de démocratie, les autres ont regretté l’avènement corollaire du parti islamiste Ennahdha, ainsi que l’absence de solutions apportées aux griefs des Tunisiens. Mehdi Barsaoui fait sans cesse basculer son film entre ces deux visages contradictoires : le pays qu’il portraiture est à la fois celui d’adultes consommant de l’alcool, blasphémant et couchant en dehors du mariage et celui qui érige Aziz, un jeune garçon de onze ans, en victime collatérale d’un attentat djihadiste. Les paysages arides d’une Tunisie de carte postale, aperçus durant le voyage d’une famille vers un hôtel de Tataouine, apparaissent d’une quiétude trompeuse, en ce sens qu’ils ne disent rien des fractures à l’œuvre dans la société nationale. En Tunisie, sous des dehors modernistes, l’adultère peut vous mener derrière les barreaux et les procédures administratives ploient sous le poids des conservatismes, y compris lorsque la vie d’un enfant est en jeu.


Là est précisément le nœud d’Un fils. Fares, Meriem et leur fils Aziz sont au mauvais endroit au mauvais moment. Ils assistent, médusés, à l’embuscade tendue par des djihadistes à des fonctionnaires de police tunisiens. Leur week-end à Tataouine prend alors un tour dramatique : Aziz est grièvement blessé par balle. Le diagnostic des médecins est sans appel : sans une greffe de foie, il ne reste à l’enfant que deux ou trois semaines à vivre. Partant, avec beaucoup d’à-propos, Mehdi Barsaoui va filmer le calvaire permanent de ses parents. En Tunisie, les dons d’organes sont rares et les procédures administratives très lourdes dès lors que le donneur n’appartient pas au cercle familial rapproché. Najla Ben Abdallah et Sami Bouajila, campant respectivement la mère et le père d’Aziz, sont confondants de justesse et de vulnérabilité dans l’épreuve que leur personnage traverse. Toute leur impuissance est matérialisée en quelques regards, ou lorsque Faris se tape machinalement, de dépit, la tête contre un mur.


À cette première couche narrative viennent s’en ajouter deux autres. La première est une intrigue intra-familiale portant sur la paternité et l’adultère dans la société tunisienne. Elle illustre parfaitement le combat entre traditions (notamment religieuses) et modernités (notamment l’émancipation des individus, et a fortiori des femmes) en cours dans ce petit pays musulman d’Afrique septentrionale. La seconde nous emmène dans une Libye voisine insurrectionnelle et au bord de l’implosion. Conformément aux photographies retrouvées dans les téléphones portables des migrants arrivés en Italie ces dernières années ou au travail du photojournaliste mexicain Narciso Contreras réalisé dans les centres de rétention de migrants du nord-ouest de la Libye, Mehdi Barsaoui nous plonge dans ces établissements où des enfants sont numérotés et destinés au trafic d’organes. Au regard du travail de documentation – médical et politique – effectué par le néo-cinéaste tunisien, il n’est guère étonnant d’apprendre que l’écriture de ce long métrage a duré pas moins de quatre années – avec, en tout, vingt-trois versions différentes du scénario !


De bout en bout, Mehdi Barsaoui parvient à poser sa caméra à bonne distance des personnages et des enjeux. Un fils est touchant sans se montrer lacrymal, dense sans être pesant. Il montre par quelle absurdité dogmatique une vie peut basculer arbitrairement. Il se pare en outre de moments particulièrement forts : des instants douloureux filmés à travers un miroir fendus, des regards lourds de sens, un achat d’organe qui se solde par l’échange d’un enfant… Pour un premier essai, le réalisateur Mehdi Barsaoui fait preuve d’une maturité appréciable, plutôt engageante quant à la suite de sa carrière de réalisateur.


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le 22 déc. 2020

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