Souvenirs, passé, présent, futur, imaginaire, réalité. Toutes ces choses bien distinctes en apparence, que l’on sépare les unes des autres. Mais pourquoi en serait-il forcément ainsi ? Et si tous ces éléments ne pouvaient s’accorder, se mélanger et s’imprégner les uns des autres ? Pour mieux s’en rendre compte, embarquez dans un grand voyage vers la nuit…


Un grand voyage dans lequel nous embarque Bi Gan, jeune cinéaste même pas encore trentenaire, qui s’était déjà distingué il y a quatre ans ans avec son Kaili Blues. Il me faut l’avouer, le nom du cinéaste était loin de m’être familier, pour ne pas dire inconnu, bien que le nom du film me disait quelque chose, puisqu’il avait été programmé dans la sélection Un Certain Regard lors du Festival de Cannes en 2018. Voilà que le film investit nos salles, et que des retours dithyrambiques viennent faire écho à cette sortie, signe qu’il serait judicieux, très probablement, de s’intéresser de plus près à ce film. Chose curieuse, le film est programmé en 3D. C’est donc un véritable saut dans l’inconnu, et il faut le dire, pour découvrir Un grand voyage vers la nuit, la meilleure des idées est de totalement lâcher prise.


Le film se divise en deux parties relativement distinctes. Une première où le héros semble se remémorer divers souvenirs, venant contextualiser l’histoire, présenter des personnages et des faits. La seconde partie, plus onirique, s’apparente à un long rêve éveillé d’une heure, intégralement tourné en plan-séquence. Un grand voyage vers la nuit est un film à l’intrigue des plus vagues et morcelées, ne cherchant pas à raconter d’histoire ou à nous mener d’un point A à un point B, mais à faire vivre au spectateur une véritable expérience où les frontières du réel et de l’imaginaire s’effacent. Fatalement, notre volonté de comprendre nous fait accrocher à des éléments qui nous permettraient de broder quelque chose d’harmonieux et solide, mais à chaque fois, notre esprit s’égare et on perd le fil. Car, lorsque l’on explore la conscience d’un homme, ses souvenirs et ses rêves, chercher du sens et des repères rationnels est purement vain.


A l’instar d’un Miroir d’Andreï Tarkovski, le récit est très morcelé, décousu, et pourtant, d’une harmonie générale manifeste. Ne pas penser au cinéma du cinéaste soviétique lorsque l’on connait ses films semble par ailleurs impossible, notamment lors de ces plans dans une maison en ruines où l’eau ruisselle, avec cette représentation du temps qui passe, le chien, le cheval… Mais le cinéaste chinois n’est cependant pas dans le pastiche, n’allant pas simplement nous faire voir un film, mais bien nous le faire vivre. Nous faisant passer de la 2D à la 3D d’une manière amusante mais tout à fait judicieuse, il nous fait passer du souvenir lointain et « plat » au rêve, vivant, et lui donne, littéralement, du relief. En choisissant de tourner cette dernière heure en plan séquence, le cinéaste s’extirpe des contraintes du cinéma, supprimant les coupes, pour faire en sorte que la temporalité du récit du film se rapproche le plus possible de celle de la vie réelle. Le film s’empare alors de nous, au point que, à un moment, je me suis retrouvé, sans m’être assoupi, à me « réveiller », à me demander où on en était, où j’en étais, tant tout repère de temps m’avait échappé. J’avais été comme hypnotisé. En fait, « hypnotique » est, probablement, l’un des adjectifs parvenant le mieux à qualifier Un grand voyage vers la nuit.


Il convient de ne pas trop en dire sur Un voyage vers la nuit, ni de trop s’évertuer à chercher une quelconque explication quant à l’intrigue. Bi Gan rappelle ici ce qui fait la principale force du cinéma, c’est-à-dire faire vivre des choses, attirer le spectateur à lui pour le lier à l’œuvre. Le titre français du film est des plus évocateurs, tant la nuit est ici sublimée, et tant ce rêve mis sur pellicule nous entraîne avec lui. Aussi difficile cela puisse-t-il être par moment, il faut surtout se dire qu’il s’agit de rêves et de souvenirs, que ces éléments doivent être pris à la volée pour créer un ensemble, et qu’il ne faut surtout pas chercher à les assembler dans le but de créer quelque chose de logique. Il ne faut pas penser, juste vivre, et, alors, vous pourrez profiter au mieux de cette belle expérience.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
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le 13 janv. 2020

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