Cette quatrième collaboration entre Jean-Pierre Cassel et Philippe de Broca se distingue des précédentes, qui coïncidaient avec les débuts du réalisateur et marquaient aussi leurs trois premières collaborations (dans l'ordre chronologique des dates de sortie : Les Jeux de l'amour, Le Farceur et L'Amant de cinq jours). En ce qui concerne celles-ci, elles ont été des bides au box-office, faisant entre 600 000 et 700 000 entrées (c’est même pire pour le trop décousu Le Farceur, qui a attiré moins d’un demi-million de spectateurs dans les salles). Aujourd’hui, cela constituerait des scores tout à fait honorables, mais au début des années 1960, ce n'était pas terrible du tout.
Pour en revenir à cette quatrième collaboration : Un monsieur de compagnie était en quelque sorte une opération de la dernière chance pour de Broca et Cassel. D’autant plus qu’un paramètre d’une importance considérable avait débarqué de façon tonitruante entre la sortie de L’Amant de cinq jours et celle d’Un monsieur de compagnie : Bébel.
Bébel et de Broca, c’était d’abord Cartouche, ayant attiré plus de 3 600 000 spectateurs, puis L’Homme de Rio, qui frôlait les 5 millions d’entrées. C’est énorme. Et, quand on sait cela, les 600 000-700 000 paraissent encore plus dérisoires à côté. Oui, de Broca était capable de connaître le succès au box-office dès ses premières années derrière la caméra, à condition de réaliser des comédies d’aventure populaires avec Bébel.
Donc, pour cette opération de la dernière chance avec Cassel, le cinéaste avait décidé d’insuffler un peu de comédie d’aventure à la Bébel. Contrairement aux trois premières collaborations susmentionnées, dont les intrigues se déroulaient dans une zone géographique et un nombre de lieux assez restreints, le protagoniste traverse ici pas moins de trois pays différents (France, Italie et Royaume-Uni). Résultat : un peu plus de 650 000 entrées. Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas. Le film suivant du réalisateur a été Les Tribulations d’un Chinois en Chine : plus de 2 700 000 entrées, avec – devinez qui – Bébel. Il n’y a pas eu de cinquième fois entre de Broca et Cassel (du moins en tant que tête d’affiche pour l’acteur, puisqu’il a tout de même interprété un personnage secondaire dans Chouans !, plus de deux décennies plus tard). C’était mieux ainsi, non seulement commercialement, mais aussi artistiquement, car leurs films étaient loin d’être des réussites.
Je place malgré tout Un monsieur de compagnie au-dessus des trois autres. Déjà, parce que le rythme n'est pas trop mal. On voit que Cartouche et le savoureux L’Homme de Rio (je kiffe ce bijou léger du septième art !) sont passés par là.
Ensuite, parce que l'ensemble est un véritable régal pour les yeux. Je vais même plus loin : sur le plan de la photographie, c’est un des plus beaux films de notre pays que j’ai vus de toute ma vie. Si vous me demandez quels sont les plus grands directeurs de la photographie français de tous les temps, je vous répondrai : Henri Alekan, Néstor Almendros et Raoul Coutard. Et justement, c’est Raoul Coutard qui a magistralement assuré ici. Raoul Coutard, c’est une maîtrise parfaite des couleurs vives chez le Godard des années 1960, une maîtrise parfaite du grisâtre marin dans Le Crabe-Tambour (jamais un César de la meilleure photographie n’a été autant mérité !) et une maîtrise parfaite des couleurs douces, pastel, dans Un monsieur de compagnie. Voilà, je n’allais pas passer à côté de cette occasion de rendre hommage à ce technicien extrêmement talentueux.
Sinon, il y a quelques bonnes idées de gag, à l’instar de ce lit, situé dans un château, qui imite les soubresauts d’une voiture-couchettes, ou de ces gamins enfermés sans autre forme de procès dans le coffre d’une bagnole pour que le personnage principal puisse se taper tranquillement maman sur la plage. Il y a une belle quantité de seconds rôles aux visages connus, qui font plus ou moins forte impression. L’hétérosexuel moyen que je suis a surtout retenu la très charmante Rosemarie Dexter — certes dans un rôle court et muet, mais qui fait forte impression et rend pleinement compréhensible le fait que notre héros ne puisse pas s’empêcher d’avoir une certaine réaction physique à son égard — ainsi que Catherine Deneuve, jouant un être apparaissant toujours dans des endroits inattendus ; ce qui lui insuffle une aura surnaturelle, à chaque fois sublimée par un thème romantique de Georges Delerue (qui n’a pas été sans me rappeler sa future BO d'Our Mother’s House, une de mes compositions favorites de cet artiste de génie). Ce qui ne fait que rendre l’ironie — apparaissant sur la fin — autour de ce personnage féminin encore plus cinglante et savoureuse.
Reste que le scénario, en dépit du fil conducteur du protagoniste, donne l’impression d’être uniquement une suite de sketchs inégaux. Défaut en rien arrangé par le fait que certains semblent s’éterniser (notamment l’épisode de l’obsédé ferroviaire incarné par Jean-Claude Brialy !) alors que d’autres sont très vite expédiés.
Les aventures racontées dans ce long-métrage sont celles d’un paresseux, se retrouvant sans un sou du jour au lendemain, et dont l’objectif est de profiter pleinement de la vie tout en continuant à ne rien foutre. Paresseux bonimenteur, séducteur, profiteur, égoïste, chanceux, qui décide à chaque fois de se tirer dès que le début d’une responsabilité pointe son méchant nez (en gros, cela marque quasi tout le temps la fin d’un sketch !).
Et pour jouer un tel énergumène et le rendre attachant, le charisme démentiel, la gouaille populaire et le cabotinage inné d’un Bébel n’auraient pas été de trop. Malheureusement, c’est Jean-Pierre Cassel qui s’y colle, et il en fait des tonnes. Or, un acteur qui cabotine sans en avoir la capacité agace plus qu’autre chose — oui, c’est particulièrement handicapant pour tout le film. Cassel n’était bon que dans la sobriété, et heureusement, des cinéastes comme Melville ou Chabrol l’avaient pleinement compris.
En somme, Un monsieur de compagnie est un film pas inintéressant, mais bancal. Il souffre d’un scénario qui se résume qu'à une accumulation inégale de situations cocasses. Et Jean-Pierre Cassel, en roue libre, ne fait rien pour relever le niveau. Pourtant, on ne peut nier un certain charme dans cette ultime tentative désespérée de redonner un second souffle à un duo qui n’a jamais vraiment fonctionné. En effet, le film séduit par sa beauté visuelle — merci surtout à Raoul Coutard ainsi que, dans une moindre mesure, aux deux actrices citées précédemment — et quelques éclairs de mise en scène révèlent le talent de Broca. Je me dis qu'avec une écriture nettement plus rigoureuse et avec Bébel dans le rôle principal, ça aurait pu marcher...