Le film est très référencé et contextualisé, ce qui est assez agréable : Méliès (dont les auteurs ont donné les traits à un vendeur de matériel cinématographique) et les débuts du cinéma avec carrément une exposition dans un cinéma, la crue centennale de la Seine en 1910, l’ambiance cabaret Belle époque ou encore le costume de la puce Francœur inspiré de celui d’Aristide Bruant. Mais quelques anachronismes qui font tiquer (« tiquer », « puce », t’as compris) : sur une affiche, Lucille lit que le monstre a été vu le 10 janvier, à un moment où la Seine a déjà largement débordé dans le film ; dans le vrai monde réel de la réalité véritable, la crue a commencé le 18 janvier. Le funiculaire a été inauguré en 1900, et le film se passe en 1910 ; on ne réinaugure pas les monuments et les infrastructures M. le préfet de police. Enfin, il n’y a pas de maire à Paris entre 1871 et 1977, et vous ne pouvez donc pas non plus prétendre à ce poste en 1910, M. le préfet de police. Néanmoins, le contexte est un des gros points forts du film : le choix de la puce comme animal par exemple n'est pas anodin, les puces appartiennent à l'univers du spectacle avec les fameuses « puces savantes ».


Les autres arguments du film résident principalement dans deux champs : l’animation d’abord, qui est belle (même si elle a peut-être un peu vieilli et que certaines chorégraphies sont un peu saccadées). Et même plus que l’animation, c’est le décor qui est marquant. Évidemment, c’est assez plaisant de voir Paris, mais c’est surtout sympa de voir Paris aussi bien représenté : Montmartre et le Sacré-Cœur, l’architecture haussmannienne, le pont des arts, la Serre du Jardin des Plantes, le grenadier (ou l’artilleur ou le chasseur) aujourd’hui démonté du pont de l’Alma (c’est pas le zouave c’est sûr), Notre-Dame, etc. Ensuite, la musique : Vanessa Paradis et Matthieu Chedid, ça marche bien (même si on comprend pas pourquoi la puce est douée de parole, et seulement pour chanter, mais admettons). D’ailleurs le film en use et (presque) abuse.


Mais il a également de gros défauts, qui se manifestent si régulièrement qu’ils entachent lourdement le visionnage. D’abord et surtout, un rythme erratique et complètement aléatoire. Paradoxal pour un film qui laisse une telle place à la musique. Quelques touches d’humour qui fonctionnent mais la majorité se cassent la figure parce qu’elles manquent d’équilibre. Trop longues, ou mal amenées, elles irritent plus qu’elles n’amusent. Les personnages ne sont pas caricaturaux a priori, ou simplement ce qu’il faut pour un bon film d’animation ; mais ce rythme bancal les rend crispant : Raoul, par exemple, parle beaucoup. Beaucoup trop. Et les dialogues sont assez mal écrits ; en tous cas ils sonnent faux (pour la plupart). Autre élément du même acabit : le film s’ouvre sur Émile, et on se dit, quand bien même il ne serait pas le héros, qu’il va avoir un rôle majeur dans le film ; mais il est relégué au rang de sidekick mignon. S’il n’était pas là, ça serait pareil. C’est ça qui est gênant : un certain nombre de codes de récit, simples et communément acceptés, sont brisés, mais pour de mauvaises raisons (facilités ou paresse d’écriture) et sans compensation. Bon, le scénario, lui, est plutôt classique et fonctionne, mais il ne révolutionne rien (monstre gentil, humain méchant, héros petit, nez trop grand, PUTAIN MAIS CE NEZ ALBERT) et la scène finale est vraiment très cliché (ça se finit quand même dans la tour Eiffel, quoi).


Je n’ai aucune idée des contraintes matérielles auxquelles la production du film a du faire face, mais l’impression qu’il laisse est celle d’un tacot cahotant (pourtant le budget du film était important : 28 millions d’euros). Parfois trop rapide et on ne saisit pas bien les éléments narratifs que le film devrait prendre le temps de poser. Typiquement, le défi de la Légion d’honneur imposé à Raoul par Lucille. Parfois trop lent : au cœur d’une scène d’action, les personnages s’arrêtent pour dialoguer quelques secondes et faire une petite blague ; ils auraient très bien pu avoir cet échange au milieu de l’action, ce qui aurait renforcé le rythme. En fait, cela laisse supposer une écriture en patchwork et des cuts décidés de manière non concertée : « tiens Roger, rajoute cette phrase là ! », « coupe-moi cette scène Gilbert, elle sert à rien ». Tout cela mine la cohérence et la fluidité et ça nous sort du film.


Il y a aussi des plans étonnants et non justifiés : à la fin du film, la tour Eiffel en plein milieu de la Seine, sans raison. Pourquoi ? On pourrait l’accepter dans le cadre d’un rêve (auquel cas il aurait fallu lui associer l’atmosphère du rêve, comme au début du film), mais ce n’est manifestement pas le cas. Autre exemple : un dézoom beaucouuuuuuuuup trop long (vous voyez le moment, au début de Kuzco, où la caméra part beaucoup trop loin ? c’est exactement ça) lors de la scène autour de la tour Eiffel (ouais, elle est au centre de beaucoup de problèmes). Des erreurs (des partis pris ?) qui semblent assez évitables et qui, encore une fois, portent préjudice au film dans son rythme et sa cohérence.


En fait, le film a un bon potentiel : un cadre et un contexte très porteurs, une histoire sympa, des voix cool (et de belles chansons). Mais il se tire une balle en shrapnel dans le pied par le biais de son écriture, sa réalisation, son montage et ses dialogues, ce qui le rend finalement assez pénible à regarder.

Menqet
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le 5 août 2018

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Menqet

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