Un silence
5.8
Un silence

Film de Joachim Lafosse (2023)

Le dernier film de Joachim Lafosse revient sur une réelle affaire qui avait frappé la Belgique. Affaire qui s'ancre dans quelque chose de plus systémique et qui peine à être concrètement puni par la justice : la pédocriminalité. Pour mettre en scène ce fléau qui hante une famille bourgeoise, il use du silence que cherche à contenir le coupable avec l'aide de sa femme. Si la première demi heure use parfaitement de ce procédé du non dit, le reste du film a tendance à tomber dans une narration scolaire et académique, et même un peu expéditive du problème principal en survolant certains aspects de ce que provoque la tension palpable de ce crime autour d'un couple mais aussi de son enfant.


L'idée de commencer le film par la fin, afin de procéder par la suite à un flashback n'est pas une mauvaise idée. Avec ce premier plan, très serré sur les yeux d'Astrid (Emmanuelle Devos) dans le rétro de sa voiture, on saisit déjà l'impact émotionnel qui émane du regard devant la route. Un mélange de peur, de honte.. Tout le poids de la culpabilité d'avoir choisi de ne rien dire. L'autre chose intéressante, c'est aussi le fait de ne pas définir clairement de quoi on parle : on sait qu'il s'est passé quelque chose de grave, mais rien au début du film ne permet de savoir clairement de quoi il s'agit. Est-ce une histoire de meurtre ? De viol ? De violences conjugales ? Joachim Lafosse va perpétuer ce brouillard à travers le début de l'intrigue et du flashback, en usant de l'image étirée de l'anamorphique pour écraser les perspectives et abuser du plan serré, souvent long, pour accentuer l'ambiance suffocante qui entoure la famille. Les décors sont plutôt bien pensés aussi dans l'espace filmique : l'architecture de la maison, cachée par les arbres, et son éclairage, accentuent le coté et froid et morose, tout comme les plans en dehors qui se situent presque uniquement dans l'enceinte oppressante d'une voiture. Pas mal d'idées donc qui viennent souligner que quelque chose se passe sans le dire clairement au spectateur, ce qui permet de créer une tension palpable et de mettre en avant le déni et le non-dit de ce qui a pu s'y dérouler. Emmanuelle Devos et Daniel Auteuil, dans leurs regards et leurs échanges qui font faux, participent tout autant à ce poids qui pèse sur leurs épaules.


Le problème, c'est que ce mystère s'éclaircit assez vite dans le film. A partir de là, tout ce qui pouvait potentiellement être intéressant à approfondir, à savoir l'emprise du mari sur sa femme qui nie les faits et continue de le défendre, le conditionnement de cette ambiance et les conséquences que ça a sur la façon de percevoir les rapports entre les gens, mais aussi sur la famille, s'engouffre dans un récit très académique. La musique se répète souvent dans des séquences qui n'en avaient pas besoin, et la mise en scène use de clichés un peu grossiers pour souligner la détresse de leur enfant, tout en restant très en surface dans sa manière d'affronter le traumatisme. A l'instar de cette scène de boite de nuit ridicule, ou ces échanges aux dialogues explicatifs entre Astrid et sa fille, ou même au sein du commissariat. Lafosse garde une cohérence dans sa mise en scène en laissant les plans souvent trainer en longueur, et s'abstient de découper les séquences comme de vulgaires champs contre champs (bien que je ne sois pas du tout contre ce genre de procédé, certains cinéastes l'utilisent très bien), ce qui fait qu'on évite le rapprochement avec le téléfilm bancal, qu'inspirent ces scènes parfois grossières. La culpabilité et le poids de la honte, qui étaient des thématiques intéressantes dans le personnage complexe d'Astrid, finissent donc pas être elles aussi survolées. Le drame parait alors plus léger, malgré l'intensité tragique donnée.


Le film souffre principalement de sa narration qui cherche à mettre en scène beaucoup de conséquences du drame, mais les expédient en usant de clichés dans les situations. C'est dommage de ne pas avoir plus appuyer sur le coté non-dit, pour continuer à faire peser le poids de la culpabilité, qui amène presque à ne plus se rendre compte de ce qu'il se passe, et à défendre aveuglément un être que l'on croit aimer. Cela aurait aussi accentuer le profond traumatisme de l'enfant, vivant dans cette prison dorée, qui ne sait pas se positionner là-dessus et qui surtout souffre de ce conditionnement qui a des impacts sur sa vie sociale. Un Silence est donc un film assez oubliable malgré l'intensité de ses 40 premières minutes.

Guimzee
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le 16 janv. 2024

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