Après la catastrophe Salaud on t'aime, au cours de laquelle l'altitude la plus élevée du mont daubesque fut allègrement franchie par l'ex-gloire du cinéma français que représente Claude Lelouch, inutile de dire que c'est à reculons que je me suis rendu dans mon multiplexe carcassonnais samedi soir dernier pour découvrir sa dernière "pépite", doucement illusionné par la présence d'un casting quatre étoiles (ça vend toujours du rêve) et par le cadre dans lequel allait évoluer l'intrigue: l'Inde. Pour le reste, mes attentes étaient initialement très limitées... et heureusement qu'elles le sont restées.


Quand je vois les derniers films réalisés par Claude Lelouch, cinéaste palmé en 1966 avec Un homme et une femme #chabadabada, celui qui devait faire de Patrick Dewaere son Marcel Cerdan dans Edith et Marcel, celui qui permit à Annie Girardot de revenir au premier plan du cinéma français et de délivrer le discours le plus poignant jamais réalisé lorsqu'elle reçut le César de la meilleure actrice dans un second rôle pour Les misérables, le réalisateur qui mit en lumière le magnifique duo Belmondo-Anconina dans Itinéraire d'un enfant gâté, celui qui permit à Fabrice Luchini de remporter son unique César à ce jour pour Tout ça... pour ça!, je me demande sincèrement ce qu'il est passé par la tête de ce monsieur. La fin des années 1990 et les années 2000 marquèrent pour Lelouch le tournant des déconvenues. Réalisateur à succès, critique et public, il enchaîna dès lors les littéraux échecs critiques (And now ladies and gentlemen), publics et financiers (Le genre humain), dont il sembla ne point pouvoir se relever. Puis vint l'éclaircie Roman de gare, qui révéla par ailleurs Audrey Dana. Et puis vint le temps des Illusions perdues...


Peine perdue: on a perdu Lelouch. Lelouch ou l'art de la redondance, de l'éternelle redite scénaristique. Toujours et encore l'éternelle ritournelle, le même pitch. Ici comme ailleurs, un homme (Antoine/Jean Dujardin) et une femme (Anna/Elsa Zylberstein) se rencontrent, se séduisent mutuellement et tombent dans les bras l'un de l'autre en dépit des obstacles divers et variés qui s'amoncellent (en nombre voire en pathos) sur leur chemin. Nos héros sont, comme toujours issus, issus du même milieu, bourgeois, ultra-favorisé, dans lequel tout semble dû, marqués par une arrogance certaine, évoluant dans des appartements, des chalets ou des péniches dotés du mobilier design dernier cri et des derniers Mac, BCBG bellâtres enchaînant les aventures. Que Lelouch s'intéresse aux nantis, soit, je ne dis pas que le cinéma français doit se résumer à une stricte approche sociale et à un intérêt pour les opprimés: la diversité des genres et des sujets est nécessaire à la vitalité du 7ème art. Le souci, c'est qu'il s'agit ici d'un exclusif appart, d'une simple vitrine dénuée de toute approche réflexive. Dans un film tout au long duquel la spiritualité est évoquée par monts et par vaux, par les mots et les images, pourquoi ne pas questionner une opposition "richesse extérieure" (financière, matérielle...) vs "richesse intérieure" (qualités de l'être humain...)?


Doux leurre. Ici, nous sommes dans l'univers lelouchien des années 2000, et chez Lelouch, point de psychologie. Du romanesque, en veux tu en voilà, du romanesque et rien du romanesque, aussi désuet et suranné soit-il, appuyé par une musique omniprésente, où les envolées et les violons inondent à l'excès un film très prétentieux. Lelouch des quinze dernières années, c'est l'abandon total de la mise en scène, comme si elle n'était qu'un élément secondaire, desservant un récit déjà très faible (j'y viendrais ultérieurement). Ici, l'esthétique semble tout droit sortie d'un téléfilm allemand du mardi après-midi de M6, inondée d'effets aussi inutiles et moches les uns que les autres, et vas-y que je te filme complètement de travers pour faire genre "je suis un artiste de mon temps". Et bien non, désolé, monsieur Lelouch, ça ne fonctionne pas du tout: quand un cadrage est mauvais, il est mauvais, point. Filmer un aussi beau pays que l'Inde, ses cultures et ses traditions, en mode reportage de Thalassa le vendredi soir sur France 3, cela s'appelle une insulte au septième art, les relents post-colonialistes en plus. Tout au long du film, j'ai eu la désagréable impression qu'avant de filmer la naissance d'une idylle ou la quête de son for intérieur (parles-tu), Lellouche mettait en scène (façon de parler) l'incursion touristique de métropolitains en territoires indigènes à la découverte des populations autochtones, leur valise à roulette et leur béret de bobo parisien en plus. Permettez-moi juste de rappelle que l'ère de la colonisation et du grand empire colonial français est révolu (heureusement).


Un + Une, c'est la quintessence d'un cinéma poussiéreux, au romanesque exacerbé et ringard, au propos dénué de finesse et trop ostentatoire. Inutile d'associer systématiquement de grossières images à des mots. Exemples:



  • Dans une série B, si un personnage raconte que le matin même, il a mangé une banane lors de son petit-déjeuner, inutile de mettre en images un flash-back inutile où tu vois le mec manger sa banane avec son jus d'orange!

  • Dans le film, lorsque Antoine raconte à Anna sa première rencontre (récente) avec son père, pourquoi intégrer un inutile flash-back où l'on voit le héros entrer dans le resto, observer son père SDF faire la manche auprès des clients, puis l'inviter à table etc... etc...


Au contraire du réalisateur, je me permets de vous épargner les détails. Trop de détails tuent le mystère, celui qui émane de toute oeuvre et dont est expurgé complètement Un + Une. Un film tellement bavard, trop bavard, en paroles comme en images: pourquoi ajouter des commentaires redondants et inutiles lorsque l'action se déroule sous nos yeux et que nul besoin de décodeur ne se fait sentir vu la simplicité de l'histoire? Rajouter des effets aux effets ne sert nullement un récit doté d'une pauvreté certaine, où Dujardin, célèbre compositeur de musiques de films, homme à femmes (caractéristique dont témoigne ostensiblement l'une des premières scènes: Antoine vient de coucher pour la première fois avec sa future meuf, s'engage un dialogue qui laisse entrevoir la perspective d'un film profondément navrant et exaspérant), part en Inde composer la musique du nouveau film d'un réal "de la Nouvelle Vague indienne" (dit et répété dans le film) et rencontre l'épouse d'un ambassadeur (et le mari d'ambassadeur qui va avec). Bien sûr, les deux se séduisent, tombent amoureux, mais tous deux sont en couple: ils jouent donc au jeu du chat et de la souris. Anna, très branchée spiritualité et philosophie orientale, ne parvient pas à avoir d'enfant (et Monsieur veut une mutation de rêve à Washington): elle se lance dans un périple initiatique de plusieurs jours, à travers le Gange et les bras d'Amma. Et, ô surprise, ne voilà-t-il pas qu'Antoine abandonne l'enregistrement de la musique du film pour la rejoindre, histoire de "soigner son mal de tête", à la grande déception d'Anna (pour le mal de tête)! Si ce voyage spirituel constitue la moins mauvaise partie du film, soyons honnêtes, celle durant laquelle on croit que le film va parvenir à se sauver du naufrage et où ne se doute pas encore que le dernier tiers va noyer ce qu'il reste, il aurait pu permettre d'effectuer un recentrage sur les tourments, les incertitudes, leurs sentiments des héros à travers l'ébauche d'une catharsis ou d'une découverte des richesses de leur for intérieur. Or, je le répète, point de psychologie chez Lelouch! Il s'en fout! Ce qui l'intéresse, c'est le romanesque, le romanesque et rien que le romanesque, aussi échoué soit-il! Une mauvaise comédie romantique, où nos personnages se tournent autour, avec le lot de rebondissements qui y est associé (peut-être y avait-il une promo dessus), et surtout, ô comble du comble, une tournure ô combien prévisible! (attention spoiler)


Bien évidemment, nos deux amis finissent par coucher ensemble (Dujardin exprimera même de la déception quant à sa manière de pénétrer sa tourterelle, ô finesse quand tu nous tiens). Anna, partie effectuer ce voyage spirituel afin de tomber enfin enceinte de son époux, tombera - comme par hasard !!! - enceinte de Dujardin. Les deux se feront évidemment choper à leur retour par l'ambassadeur et l'ex-future épouse d'Antoine, ces derniers répudiant instantanément leurs conjoints. Et, ô surprise, quatre ans plus tard, ne voilà t-il pas que Dujardin croise Zylberstein dans un aéroport, un enfant de quatre ans à la main (en plus il s'appelle Antoine le petit, comme si on n'avait pas déjà saisi l'entourloupe), que les deux se suivent en voiture de l'aéroport jusqu'à la péniche d'Elsa/Anna. L'un et l'autre repoussent aimablement les avances de leurs nouveaux amants, et ô hasard, ne voilà-t-il pas que Dujardin pénètre chez Elsa... #dabadabada


Mise en scène absente, récit simpliste et caricatural, dénué de toute surprise, une belle distribution certes, mais tellement mal dirigée... Des grands acteurs que sont Jean Dujardin et Elsa Zylberstein, on a connu tellement mieux... Des prestations décevantes, simples, dénuées d'incarnation et d'investissement, comme si le vide du film avait contaminé leur jeu. Il semblerait que Lelouch ait choisi un casting avant de diriger les interprètes de ses personnages. Or, l'adage est bien connu, un casting ne fait pas un film (alors que la réciproque peut être vraie)...


A travers une telle critique, assassine, pourquoi attribuer la note de 3/10 au film? Parce qu'il recèle tout de même quelques points "positifs", aussi peu nombreux soient-ils. Le film, certes exaspérant et profondément irritant, dépasse légèrement en qualité la catastrophe et l'insulte au septième art que représentait Salaud on t'aime, en dépit d'un casting exceptionnel et d'un très beau duo d'acteurs alors constitué de Johnny Hallyday et d'Eddy Mitchell (aussi brillant sur scène qu'à l'écran). Si on peut adjoindre au film un caractère daubesque, il est paradoxalement difficile de remettre en cause l'amour que porte Lelouch au cinéma, en témoigne l'incursion de l'histoire du tournage Juliette et Roméo, véritable film dans le film, dont les quelques images que nous distille Claude Lelouch tendent à laisser entrevoir une belle oeuvre, bien meilleure que le film en lui-même: j'aurais, à vrai dire, préférer regarder Juliette et Roméo que Un + Une!. Les scènes témoignant de l'intensité spirituelle de l'Inde, les rives sacrées du Gange ou les bouleversantes rencontres avec Amma, figurent parmi les rares à être digne d'intérêt dans Un + Une. Elles participent à la distillation d'une jolie lumière, à travers la photographie de Robert Alazraki. Le film nous permet, par ailleurs, de redécouvrir Christophe Lambert, si juste et si délicat dans le rôle de l'ambassadeur qui assiste, impuissant, à l'éloignement progressif de son épouse, séduite par un autre homme.



En bref...



En dépit de ces rares éclaircies dans le ciel lelouchien, je pense avoir trouvé en Un + Une l'une des catastrophes ciné de l'année, au point qu'elle en a déstabilisé ma verve critique, mea culpa. Un film lourd, prétentieux, aux grosses ficelles, profondément exaspérant et d'un romanesque démodé. Un piètre téléfilm (au mieux un reportage) qui ne s'assume pas comme tel. Mise en scène et direction d'acteurs flirtant ouvertement avec le néant. Avant de clore cet épisode, voici quelques conseils:



  • Si votre temps libre, c'est de l'or: évitez ce film

  • Si vous souhaitez que vos nerfs résistent: évitez ce film

  • Si vous voulez (re)découvrir Lelouch, privilégiez sa grande époque

  • Si vous tenez à ce que telles insipidités ne soient plus commises, créons ensemble une pétition sur change.org pour que Lelouch se décide enfin à prendre sa retraite.

rem_coconuts
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le 21 déc. 2015

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rem_coconuts

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