Qui est le film ?
Connu pour avoir façonné les cauchemars collectifs des années 80 et 90 (Freddy, Scream), Craven s’aventure ici sur un terrain hybride : une comédie horrifique portée par Eddie Murphy, mais lestée d’un sous-texte social. Le film raconte l’arrivée d’un vampire caribéen à Brooklyn, en quête d’une femme destinée à perpétuer sa lignée.
Que cherche-t-il à dire ?
Sous ses airs de divertissement, le film tente de déplacer le mythe du vampire vers une lecture sociale et raciale. Le vampire n’est plus seulement une créature gothique : il devient une figure de domination, un prédateur qui se nourrit des failles d’une communauté déjà fragilisée. La tension principale réside dans ce décalage : comment faire coexister l’imaginaire gothique européen et la réalité urbaine afro-américaine des années 90 ?
Par quels moyens ?
Max, incarné par Eddie Murphy, ne chasse pas au hasard. Ses victimes sont choisies selon des logiques de domination : faiblesse économique, isolement social, vulnérabilité psychologique. Craven détourne ainsi le vampire classique pour en faire l’image d’une élite prédatrice. Ce choix donne au film une portée critique, mais il reste parfois prisonnier de son dispositif : la métaphore, trop appuyée, tend à se figer en symbole.
Le charme du vampire, sa séduction, sont autant d’armes que de pièges. Craven reprend les codes du vampire séducteur, mais les transpose dans un cadre contemporain où la sexualité devient un outil de contrôle. Pourtant, cette piste, riche de promesses, reste inaboutie : la femme est à la fois objet de désir et figure de résistance, mais son rôle se limite trop souvent à catalyser le conflit, sans véritable autonomie dramatique.
Le film alterne horreur et comédie, parfois dans la même scène. Ce mélange, loin d’affaiblir le propos, pourrait en révéler l’absurdité : rire de ce qui nous dévore, c’est déjà le mettre à distance. Mais Craven ne parvient pas toujours à équilibrer ces registres. L’humour d’Eddie Murphy, très marqué par son style comique, entre parfois en contradiction avec la gravité du sous-texte.
Le film convoque les motifs classiques du vampire (l’ombre, le sang, la malédiction) mais les transpose dans un contexte afro-américain. Cette hybridation est audacieuse : elle fait dialoguer deux traditions culturelles. Pourtant, la greffe reste fragile. Les symboles gothiques semblent plaqués sur un décor urbain sans toujours s’y enraciner.
Où me situer ?
J’admire l’ambition de Craven : déplacer le mythe du vampire pour en faire une métaphore des fractures raciales et sociales, c’est un geste fort. Mais je regrette que cette ambition soit souvent trahie par une mise en scène trop démonstrative, qui préfère souligner plutôt que suggérer. Le film aurait gagné à faire confiance à ses images, à leur pouvoir d’évocation, plutôt qu’à les surcharger de signes.
Quelle lecture en tirer ?
Un Vampire à Brooklyn n’est pas seulement un film bancal ou un objet hybride : c’est un symptôme. Il témoigne d’un moment où Hollywood tente d’intégrer des récits afro-américains dans des genres codifiés, sans toujours trouver la juste articulation.