Les diamants sont éternels, pas les Hommes

Les frères Safdie sont devenus, au fil des années, des figures incontournables du cinéma indépendant américain. Depuis leur dernier et très bon film Good Time, leur retour était attendu. Un retour encore plus attendu quand Uncut Gems, leur nouveau film, s’est peu à peu dévoilé aux yeux du public. Un nouveau métrage plein de promesses, qui débarque aujourd'hui sur Netflix.


Ce nouveau film présentait plusieurs attractions : Adam Sandler dans un rôle à contre-emploi, Darius Khondji à la photo et, bien sûr, les frères Safdie à la réalisation. Alors qu’ils nous avaient embarqués dans une course nocturne effrénée et désespérée avec deux frères dans Good Time, les voici qui nous font rencontrer le tenancier d’une bijouterie, également revendeur de pierres. Il est celui qui offre la richesse apparente, et qui veut développer la sienne. Les premières minutes nous font découvrir une mine de pierre précieuses en Ethiopie, où de nombreux ouvriers risquent leur vie pour mettre à jour ces richesses naturelles. Une roche contenant des opales est alors découverte, puis, après avoir plongé dans l’essence même de ces pierres, nous sommes progressivement conduits dans une sorte de conduit organique, qui s’avère être… le côlon d’Howard Ratner, en pleine coloscopie. Enfin, les minutes suivantes, déroulant le générique, nous font suivre Howard, avec une musique très présente sur laquelle se superposent des dialogues, les deux se mélangeant dans une étrange cacophonie.


En quelques minutes, le postulat d’Uncut Gems est posé, exposant les principaux piliers du film. La mine montre la quête effrénée de richesse, au risque de mettre sa propre vie en danger. La transition vers la coloscopie permet de désacraliser directement le personnage principal, le mettant dans une situation compromettante, et montrant par la même occasion la fragilité du corps humain. Enfin, l’exposition de l’univers dans lequel évolue Howard Ratner, bruyant, bavard et criard, avec cette cacophonie presque assourdissante, prépare le spectateur à ce qu’il va vivre pendant deux heures. Cupidité, fragilité et frénésie : voilà les matériaux qui vont constituer Uncut Gems, folle plongée dans les méandres de l’avidité humaine, où les Hommes sont faibles et malléables, dépassés par les enjeux et par le temps.


En termes de thématiques, nous sommes dans la droite lignée de Good Time, l’argent étant un acteur essentiel du récit, conduisant les Hommes sur des sentiers dangereux. Là où il représentait pour Connie le moyen permettant de retrouver la liberté avec son frère dans le film précédent, il est omniprésent chez Howard dans Uncut Gems, qui aborde la problématique de l’argent de manière beaucoup plus frontale et sans filtre. C’est aussi l’image d’une liberté fantasmée, passant par l’accumulation de richesses, le plus étant le mieux, chaque gain devant être systématiquement enrichi, chaque mise remportée devant de nouveau être jouée pour remporter une mise plus grande. Avec une telle philosophie, Howard se condamne à une éternelle insatisfaction, aussi naturelle que périlleuse, dans un monde où l’argent est convoité pour le pouvoir mais aussi pour la sécurité et, idéalement, pour les deux.


Le personnage d’Howard est la parfaite illustration des effets que l’argent peut avoir sur les Hommes, notamment en termes de corruption des esprits et d’obsession. Le choix d’Adam Sandler a alors un intérêt tout particulier, non pas simplement pour le voir dans un rôle à contre-emploi, mais aussi parce qu’il convient tout à fait à ce que doit transmettre le personnage. Habitué aux rôles comiques, parfois peut-être pas extraordinaires, il parvient ici à développer un personnage complexe, aussi attachant qu’énervant, aussi extravagant que torturé, aussi débrouillard que maladroit. Howard est un personnage riche dans sa composition et il est surtout faillible, ce qui fait de lui un personnage profondément humain. Nul gangster charismatique et implacable, juste un type banal qui aime l’argent et qui le désire, qui veut devenir riche, mais qui doit faire face à une réalité bien difficile à admettre : le succès et la richesse lui sont inaccessibles, et leur quête par tous les moyens ne peut que mener à sa perte.


Bien entendu, on ne peut parler d’Uncut Gems sans souligner sa densité et le travail réalisé sur l’ambiance. C’est un film qui raconte beaucoup de choses, multipliant les interactions entre les personnages, et se servant notamment des multiples facettes du personnage d’Howard pour créer des situations diverses, entre retournements de situation, déconvenues et désamorçages. Avec une cadence folle et une ambiance aux couleurs souvent assez criardes, le film cherche surtout à mettre le spectateur dans un état d’esprit particulier, entre sentiment d’urgence et fatigue, incompréhension et crispation. Au-delà de simplement raconter une histoire, Uncut Gems veut impliquer pleinement le spectateur pour qu’il ressente les effets de cette cupidité dévorante. Et si la photographie de Darius Khondji peut parfois faire baigner le film dans une ambiance presque onirique, il ne manque jamais de rester dans la réalité, notamment avec des astuces de scénario aussi simples qu’évidentes, comme l’intervention de personnalités réelles comme joueur de basket Kevin Garnett et le chanteur The Weeknd, ou la liaison directe avec des matchs de NBA, autre source de fantasmes et d’exaltation pour les Hommes modernes.


Uncut Gems suit bien l’objectif des frères Safdie : dépeindre la nature humaine en ajoutant au simple constat et à la réflexion la proposition d’une expérience concrète grâce au cinéma, en n’oubliant jamais d’être ancré dans la réalité, de garder les pieds sur terre pour bien rappeler que tout cela peut arriver à tout le monde, et que ces images sont la transposition de véritables expériences déjà vécues. C’est la prolongation de Good Time, à la différence que ce dernier, déjà bien éreintant et prenant, était plus calme en termes de rythme, là où Uncut Gems est dans une pure frénésie, et d’une impressionnante densité. Adam Sandler y livre une prestation impeccable, dans un film qui se saisit de thématiques remontant aux origines de l’humanité, mais qui sont on ne peut plus d’actualité.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Vus en 2020 : Une folle année cinématographique et Les meilleurs films de 2020

Créée

le 31 janv. 2020

Critique lue 414 fois

4 j'aime

2 commentaires

JKDZ29

Écrit par

Critique lue 414 fois

4
2

D'autres avis sur Uncut Gems

Uncut Gems
Moizi
7

Chaos Frénétique

C'était pas mal du tout. Pas vraiment mon genre de film, disons que ce genre de personnages qui font que les mauvais choix, où leur vie est un véritable bordel à cause d'eux, de leur incapacité à...

le 3 févr. 2020

61 j'aime

3

Uncut Gems
JorikVesperhaven
5

Adam Sandler déchaîné dans une œuvre singulière mais hystérique et usante sur la longue.

Découverts avec le thriller urbain original et novateur “Good Times », avec cette atmosphère nocturne new-yorkaise si bien rendue et son impression d’urgence perpétuelle, les frères Safdie reviennent...

le 22 janv. 2020

59 j'aime

4

Uncut Gems
lhomme-grenouille
4

Etrange contemplation de la lose

Déjà avec « Good Time » je n’avais pas compris l’engouement généré autour des frères Saftie. Et avec cet « Uncut Gems » – que le grand maître Scorsese s’est décidé à produire, excusez du peu –...

le 9 févr. 2020

54 j'aime

10

Du même critique

The Lighthouse
JKDZ29
8

Plein phare

Dès l’annonce de sa présence à la Quinzaine des Réalisateurs cette année, The Lighthouse a figuré parmi mes immanquables de ce Festival. Certes, je n’avais pas vu The Witch, mais le simple énoncé de...

le 20 mai 2019

77 j'aime

10

Alien: Covenant
JKDZ29
7

Chronique d'une saga enlisée et d'un opus détesté

A peine est-il sorti, que je vois déjà un nombre incalculable de critiques assassines venir accabler Alien : Covenant. Après le très contesté Prometheus, Ridley Scott se serait-il encore fourvoyé ...

le 10 mai 2017

74 j'aime

17

Burning
JKDZ29
7

De la suggestion naît le doute

De récentes découvertes telles que Memoir of a Murderer et A Taxi Driver m’ont rappelé la richesse du cinéma sud-coréen et son style tout à fait particulier et attrayant. La présence de Burning dans...

le 19 mai 2018

42 j'aime

5