Under the Silver Lake est le Eyes Wide Shut du XXIe siècle : un film hommage et dénonciateur.


Dés les premières scènes, les références cinématographiques sont visibles et accentuées, plongeant le spectateur dans un Hollywood à la limite du ringard. Le sourire arrive à nos lèvres, avec une pointe d’incompréhension pendant toute l’introduction. Alors que le personnage de Sam nous est dépeint comme un jeune homme d’une trentaine d’années, ne faisant rien de sa vie et bientôt mis dehors par son propriétaire, il est filmé par plusieurs angles de vues différents, qui s’enchainent successivement, le tout accompagné d’une musique forte et tragique. Le fond et la forme sont presque en désaccord, devant ce millenial présenté par les effets cinématographiques hollywoodiens des années 1950. Cette confrontation entre les époques est visible tout au long du film, par l’utilisation de fondus enchaînés et de surimpressions, dans une enquête policière digne des films noirs des décennies précédentes : une jeune femme est portée disparue, alors qu’un tueur de chien rode. Under the Silver Lake est à la fois le digne héritier de Sunset Boulevard que de Mulholland Drive. Le cinéma devient donc un des sujets principaux du film. Combinant plusieurs genres filmiques (la comédie, le drame, l’épouvante et le policier), le film nous présente un nouveau style cinématographique : le nostalgique.


Au cœur même de l’industrie, Sam vit sous le panneau « Hollywood » mais est bien loin des paillettes et du glamour vendus habituellement à l’écran. Au contraire, un envers du décor, plus sombre et totalement inattendu, est dépeint. De par son aspect physiques et ses actes, le personnage principal, peu propre sur lui, qui ne fait rien de son existence, est le digne stéréotype de notre société moderne. Entouré d’affiches de films classiques comme Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock (dont on retrouvera la présence au cours de l'intrigue), et presque harcelé au téléphone par sa mère qui lui conseille de voir un film muet (elle ira jusqu’à lui envoyer le film enregistré sur une cassette), il est persuadé que le gouvernement le surveille et le manipule. L'acteur Andrew Garfield nous offre une prestation loin d’être mauvaise, mais nullement incroyable, de ce jeune adulte emprisonné dans un entre-deux temporel. Pour autant, il permet de nous identifier pleinement à son personnage car il est justement conforme à l’image que nous avons de cette génération décalée de la réalité, qui veut tout obtenir, sans rien faire pour cela. Un certain mal-être est évidemment à discerner, lorsqu'il fait face à cette société dans laquelle il n’arrive pas à trouver sa place. Il cherche avant tout à donner un sens à son existence, et à surpasser sa crainte de la femme, lorsqu’il se lance à corps perdu à la recherche de Sarah, la belle disparue.


Tout au long de cette quête, le spectateur est amené à chercher le détail. En effet, à chaque péripétie, Sam est confronté à un élément de son passé, et plus particulièrement à la figure féminine. L'acte sexuel est évidemment un aspect important de sa vie, tout comme il est très présent dans notre société actuelle, et cela semble être l’unique point commun qu’il peut avoir
avec la femme. Seul le corps peut alors relier les pensées féminines et masculines divergentes. Pourtant, il va de son plein gré tenter de retrouver Sarah, qu’il vient à peine de rencontrer, tout en tachant de la comprendre, en vain. Le fossé femme / homme est profondément creusé et ne peut être dépassé, ce qui entre totalement en résonnance avec notre propre situation, en ces temps de libération de la parole féminine.


Cette dénonciation sociétale n’est pas la seule présente dans Under the Silver Lake. Le jeune homme est ainsi présenté comme nonchalant, mais aussi comme voyeuriste. Le fait que l’affiche de Fenêtre sur cour soit présente dans son appartement n’est pas une coïncidence : puisque sa vie est inintéressante, il préfère regarder celle des autres, même dans les pires instants. Cet aspect de sa personnalité atteint son paroxysme lorsqu'il regarde son propre appartement, à partir du balcon de sa voisine lors de la scène finale. Sam est finalement spectateur de la vie des autres, mais aussi de la sienne, le plongeant une nouvelle fois dans une existence malsaine et décalée de la réalité.


Le côté extrême du film ne s’arrête pas là : notre jeune protagoniste est constamment persuadé qu’il est manipulé par une force supérieure à la sienne, qui n'est autre que le gouvernement. A travers cette hypothèse qu’il cherche à prouver, se cache en réalité un moyen pour lui de détourner le regard de la futilité de son existence. En accusant autrui, il trouve une place, et un rôle à jouer, ce qui lui confère un sens à sa vie : sa mission est de dénoncer cette mascarade. Notre génération préfère alors être persuadée que c’est la société qui se joue d'elle, et que nous ne sommes pas maîtres de notre destin. Cela explique alors pourquoi nous sommes de perpétuels insatisfaits, incapables de faire le nécessaire pour prendre notre vie en main. Dans ce cas, nous nous rangeons dans l’extrême. La secte peinte à la fin du film démontre que la vie comme celle de Sam, n’est pas meilleure que la mort. Mourir est une échappatoire à cette société où nous ne sommes pas libres. Dans ce cas, autant croire qu’il y a un mieux ailleurs, pour que notre existence ait enfin un sens. Croire en la possibilité de fuir cette mise en scène, et que cet acte de rébellion nous différencie, n’est qu’illusoire. A travers la scène la plus prenante du métrage, Sam est confronté au « song writer ». Ce dernier lui explique alors que la société n’évolue jamais, et que nous ne faisons que reprendre les codes des générations précédentes. La violence est autant physique que morale, et rabaisse Sam mais aussi le spectateur. Alors que l’on croit innover, nous sommes coincés dans une façon de penser et de créer que nous impose la société moderne. Nous n’avons aucun talent, et ne sommes que des pions utilisés par plus grand que nous.


Under the Silver Lake obtient alors une dimension plus importante que celle du simple hommage au film policier classique. Il est une véritable représentation de la jeune génération actuelle. Tout le génie de son réalisateur David Robert Mitchell est d’avoir réussi, à travers des codes anciens et une intrigue à dormir debout, à démontrer le mal-être et le problème existentiel que rencontrent les
millenials. Son film peut alors paraître très particulier et difficile d’accès, mais bien au contraire, il est beaucoup plus intelligent que nous pouvons le croire. Son point fort est d'inclure le spectateur dans cette enquête burlesque, qu'il ne prend pas pour moins intelligent qu’il ne l’est. Bien que le cinéaste dénonce notre génération, et ne nous porte pas aux nues, il cherche avant tout à pousser à la confrontation, en nous montrant frontalement nos défauts, dans cette aire basée sur réseaux sociaux et l’égocentrisme. Le but est évidemment de nous faire parvenir à une certaine prise de conscience. Ainsi, les jeunes adultes ne sont pas moins bien que ceux des décennies précédentes, mais sont confrontés à des problèmes différents, qu’il faut essayer de surpasser.

Salome-J7
8
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le 25 janv. 2020

Critique lue 206 fois

Salome-J7

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