Le titre en dit peut-être déjà trop…


Le film est l’adaptation d’un roman de Michel Faber (pas lu) et il est la transcription d’un texte en images et en sons, avec des dialogues réduits au strict nécessaire. C’est donc au spectateur d’assimiler autant d’informations qu’il peut au visionnage, pour avoir une vue d’ensemble de l’œuvre et tenter de l’appréhender, la comprendre. En gardant en tête que toute interprétation est personnelle. Ceci dit Jonathan Glazer montre, pour son troisième long métrage, une maîtrise remarquable (choix techniques, manière d’appréhender l’objet film). N’ayant aucune idée de ce que peut valoir le roman, la présente critique ne concerne que le film, indépendamment du fait qu’il est une adaptation, ce qui me semble justifié par la personnalité et le talent déployés par le réalisateur.


L’idéal serait de ne même pas dire que le scénario emmène le spectateur du côté de la Science-Fiction, laisser découvrir par quels moyens le réalisateur fait comprendre qu’une forme indéterminée d’intelligence réussit à se donner une apparence humaine pour s’intégrer à l’humanité. Les choix de mise en scène font que le spectateur est happé dès les premiers plans dans un univers très particulier. Les dialogues arrivent tardivement et se révèlent uniquement utilitaires, alors que la BO signée Mica Levi apporte constamment une note d’étrangeté rappelant que le personnage central découvre notre monde avec des références qui nous sont inconnues. On est sur Terre, à notre époque, mais on se retrouve dans la situation de celui qui observe l’activité humaine d’un œil neuf. La particularité, c’est que l’intelligence en question a pris l’apparence de la très séduisante Scarlett Johansson, brune pour l'occasion. Je me permets de faire remarquer que certaines critiques utilisent un prénom pour son personnage. Or, aucun prénom n’est utilisé dans le film. Il serait commode de désigner le personnage central en disant elle, mais son comportement dans quelques scènes clés laissent entendre que cette définition par le sexe est inappropriée.


Scarlett donc, commence à côtoyer les humains en Écosse. Les paysages accentuent à merveille l’étrangeté de la situation générale, avec de longues étendues assez arides et désolées (couleurs froides comme le climat), ainsi que le laconisme de Scarlett. Dans une crique, belle mais dangereuse, un drame se joue sous l’œil de spectateurs indifférents ou impuissants.


Scarlett rencontre des Écossais dans leur milieu naturel. A part une séquence où elle explore un centre commercial animé, la plupart des scènes se situent dans la nature, des intérieurs imprécis ou encore dans des maisons de célibataires. Même si on peut en douter jusqu’aux premiers dialogues, Scarlett s’exprime en anglais sans la moindre difficulté, on sait pourquoi. L’étrangeté vient du fait que pour une personne qui semble tout découvrir, rien ne semble lui faire peur, comme si la proximité d'une sorte d'ange-gardien à moto la préservait de tout. Pour la voir inquiète, il faudra attendre la fin et une situation où elle est vraiment en danger.


Sinon, l’activité de Scarlett (qui circule au volant d’une camionnette), consiste à chercher des hommes isolés à qui elle demande des renseignements pour se diriger. Son personnage inverse complètement la situation de l’auto-stop en orientant les conversations vers la possibilité de faire faire un bout de chemin à ceux qui l’aident mais ne lui avaient strictement rien demandé. Solitude et manque de communication ressortent cruellement dans ce que Scarlett observe (le spectateur note l'absence de chaleur humaine). Alors, cette jolie femme qui propose de les emmener fait une impression bizarre à ces solitaires. Mais, comment refuser un service proposé dans de telles conditions ?


Le film repose sur la prestation de Scarlett Johansson, un choix particulièrement judicieux, car elle séduit très naturellement. Ce qui est particulier, c’est qu’elle ne minaude jamais et reste assez peu expressive. Par contre, elle utilise un rouge à lèvres absolument irrésistible (appeau visuel... histoire de justifier mon titre) et elle ne passe pas inaperçue avec un jean clair associé à un chandail moulant rose.


Maintenant, la question (la seule qui vaille vraiment) c’est que veut-elle exactement ? Autant dire que Jonathan Glazer réussit à aller jusqu’au bout sans répondre franchement, même si on observe Scarlett pendant près de deux heures (et son comportement peut largement prêter à interprétation). Absence de réponse et de manifestations sentimentales créent un vrai malaise qui ne quitte jamais le spectateur. Le truc de Scarlett, c’est d’attirer les hommes dans un intérieur (qu’on découvre sans transition), avec la promesse non explicite (tout passe dans les gestes et les regards) d’un rapport sexuel. Autant dire qu’elle parvient aisément à ses fins. Ce qui est étonnant, c’est le lieu où cela se passe et ce que le spectateur observe alors. Scarlett entraîne son partenaire dans un intérieur qui se révèle uniforme et sans contours. Et puis, elle marche devant (normalement ou à reculons pour encourager son partenaire), tranquillement, en se déshabillant progressivement. C’est lors de son effeuillage qu’il se passe quelque chose de particulier pour son partenaire. Pourquoi ? Comment ? C’est plus que surprenant. Et cela se produit à d’autres occasions, le spectateur observant le même phénomène sous différents angles. Le réalisateur filme comme un prestidigitateur qui nous présenterait son récipient truqué sans qu’on puisse déceler le mécanisme secret. Mieux, il nous montre ensuite ce que deviennent les partenaires de Scarlett. Rien à dire, il faut le voir pour comprendre qu’on est en présence d’une œuvre d’art où les explications n’ont pas vraiment lieu d’être. Avec ce film, Jonathan Glazer s’inscrit dans la lignée de Stanley Kubrick (2001, l’odyssée de l’espace), Andrew Niccol (Bienvenue à Gattaca), David Lynch (Elephant man), mais aussi Resnais (les flocons de neige à la fin rappellent fortement les plans de transition dans L’amour à mort), ce qui ne l’empêche pas de faire œuvre personnelle pour s’inscrire en cinéaste de son temps.

Electron
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Vus au ciné en 2014, Les plus belles affiches de films, Les meilleurs films du cinéma expérimental et Les meilleurs films A24

Créée

le 2 juil. 2014

Critique lue 871 fois

42 j'aime

21 commentaires

Electron

Écrit par

Critique lue 871 fois

42
21

D'autres avis sur Under the Skin

Under the Skin
Rawi
8

Poème érotique

Le film s'ouvre sur un oeil, un regard qui se forme, une langue qui se prononce maladroitement. Fond noir ! L'intérêt majeur de cette adaptation est son ACTRICE principale. A la fois très connue,...

Par

le 4 juil. 2014

129 j'aime

33

Under the Skin
Marthe_S
5

Une eau peu profonde

"C'est une eau peu profonde", dit un personnage de Claudel à propos d'un autre personnage, qui manifestement lui semble idiot. J'aurais voulu trouver une formule aussi mordante pour donner mon avis...

le 1 juil. 2014

120 j'aime

19

Under the Skin
Velvetman
10

L'habit ne fait pas l'humain

Under the skin est un film indéfinissable, parfois indéchiffrable. Un point lumineux s’agite autour de formes obscures. La musique se fait assourdissante, se pose alors devant nous, une sorte de...

le 2 févr. 2015

94 j'aime

9

Du même critique

Un jour sans fin
Electron
8

Parce qu’elle le vaut bien

Phil Connors (Bill Murray) est présentateur météo à la télévision de Pittsburgh. Se prenant pour une vedette, il rechigne à couvrir encore une fois le jour de la marmotte à Punxsutawney, charmante...

le 26 juin 2013

111 j'aime

31

Vivarium
Electron
7

Vol dans un nid de coucou

L’introduction (pendant le générique) est très annonciatrice du film, avec ce petit du coucou, éclos dans le nid d’une autre espèce et qui finit par en expulser les petits des légitimes...

le 6 nov. 2019

78 j'aime

4

Quai d'Orsay
Electron
8

OTAN en emporte le vent

L’avant-première en présence de Bertrand Tavernier fut un régal. Le débat a mis en évidence sa connaissance encyclopédique du cinéma (son Anthologie du cinéma américain est une référence). Une...

le 5 nov. 2013

78 j'aime

20