Le nouveau film de François Ozon est indéniablement de qualité, et les arguments pour s’en convaincre ne manquent pas. La mise en scène fluide et maitrisée impose une photographie troublante, dans des décors cossus troublants qui mêlent un clinquant du soap 70’s à une modernité un peu froide. L’interprétation, bien entendu, est impressionnante, et l’on se plait à jouer avec Claire à appréhender deux personnages, Virginia ou David, au point d’être surpris avec elle lorsque l’homme reparait, tant nous avions cédé au charme trouble de son pendant féminin. Romain Duris jubile, Anaïs Demoustier s’excite à son contact, et l’échange des deux, communiant dans l’épanouissement sur Nicole Croisille est un des sommets d’alchimie du film. Au point que lorsque certains personnages paraissent faux, on incombe cette imperfection à la vérité des deux protagonistes, impossible à appréhender par le commun des mortels, que ce soit le mari ou les beaux-parents.
On pourrait longuement gloser sur cet équilibre fragile et bancal que construit ce couple en devenir, et c’est d’ailleurs ce que fait Ozon. Toujours soucieux de brouiller les pistes, il joue ici sur une telle multiplicité de fronts qu’on a peine à le suivre. Une nouvelle amie commence comme un mélo pur sucre, habillé par une musique assez lourde et qui ne délestera d’ailleurs plus le film, et joue d’emblée sur les accords éculés entre eros et thanatos. Dès lors, la morbidité obsessionnelle de Laura, Vertigo ou De Palma irriguent clairement le récit, qui va s’enrichir d’écarts comiques pour le moins déconcertants, flirtant par instant avec Aghion ou Onteniente. Alors qu’on entrevoit l’intrigue d’un thriller psychologique sur un canevas policier, celui-ci n’advient pas et se concentre sur la naissance d’individus à eux-mêmes, sans se départir pour autant des ingrédients du serial le plus convenu (rdv dans des hôtels, accidents, coma). Le fait d’y ajouter des scènes rêvées ou fantasmées ne fait qu’alourdir la charge, et la coupe est tout de même assez vite pleine.
Deuil, genre, obsession, homosexualité, parentalité ou nécrophilie, Ozon convoque une galerie inépuisable de thèmes, galvanisé par cette envie un peu puérile d’en découdre avec la morale établie.
L’immense qualité de Jeune et jolie résidait dans sa pudeur et son détachement apparent. On pourra voir dans ce nouvel opus un désir similaire de s’abstenir de juger en laissant se déployer l’accomplissement de deux individus qui se libèrent pour aimer. Il n’empêche qu’à trop vouloir brouiller les cartes et s’imposer en maitre d’un jeu de fausses pistes, il y perd en pertinence et fatigue un peu.
Sergent_Pepper
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le 10 nov. 2014

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Sergent_Pepper

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