Dès les premières minutes de United Red Army, mêlant pourtant les images d'archives à des morceaux de fiction, on se dit que quelque chose ne va pas dans ce Japon du début des années soixante qui marche sur la tête, entre idéaux illusoires, défiance envers les Etats-Unis, manifestations étudiantes, lois d'état d'urgence décrétées et gauche radicale voyant le jour.


Et puis, il y a ces mots, comme presque prémonitoires :


Ce n'est pas une révolution...


Mais des actions isolées. Des rivalités entres fractions. Entre ceux qui attendent le grand soir et les autres qui veulent le précipiter. Tout de suite, ou rien.


C'est des règlements de comptes entre groupuscules, déjà, alors que la contestation ne fait que balbutier. Des prises d'otages punitives pour faire rentrer dans le rang ceux qui ne suivent pas la doctrine pure du communisme.


Et l'on dresse, déjà aussi, le décompte. Celui qui s'enfuit des rangs. Celui qui tombe sous les coups de la répression policière ou qui perd la vie dans une simple chute, de manière presque ridicule.


Wakamatsu illustre de manière saisissante, presque au-delà de tout ce qui était imaginable, la naissance de la Fraction Armée Rouge, avant une répression qui lui porte déjà un coup qui la colle presque K.O. Puis cette tentative de renaissance.


Le développement de ce côté ultra de la gauche japonaise porte et nourrit ce qui signera son auto destruction. Ces tentatives dévoyées d'autocritique sincère qui sont évoquées, puis systématisées, pour essayer de revenir en grâce au sein d'un mouvement qui dérive déjà, et de manière dangereuse, vers l'aliénation et l'hystérie. Pour essayer de faire pénitence aussi.


Les graines du chaos sont semées, tout comme celles du dérapage et d'une autorité lorgnant sans retenue vers une certaine forme de fascisme.


Le temps de se financer en volant le grand capital, de se militariser, de se politiser, de s'allier, la United Red Army voit le jour tandis que les images d'archives laissent peu à peu la place au film. Que l'Histoire laisse place à cette mosaïque de rivalités de groupes, de destinées tragiques.


Et le décompte funeste de se poursuivre au gré des entraînements, des planques dans les montagnes, des rassemblements de plus en plus délirants où se pratique la chasse à l'espion, au déserteur, à celui qui ne serait pas un vrai révolutionnaire ou un communiste convaincu. Tout cela prend la forme d'une épuration, d'une purge stalinienne aux accents de paranoïa, d'une litanie d'exécutions sommaires.


Et le groupuscule "unifié" de se radicaliser, de se muer en tyrannie sectaire inquiétante, délirante, encline à tous les excès justifiées par la guerre d'extermination menée. La clandestinité de la United Red Army, son jusqu'au boutisme achève de couper les ponts avec toute forme de réalité, précipitant ses membres dans une tourmente sans frein de violence physique, de pressions psychologiques, d'auto flagellation, d'humiliations permanentes et de mises à mort des plus faibles pour réaffirmer l'appartenance et la loyauté à l'idéologie communiste.


Koji Wakamatsu filme ces réunions comme de dangereuses transes, transformant les retraites en régimes de terreur, en prison, en un piège irréductible refermant ses mâchoires sur des partisans réalisant parfois trop tard la nature de l'impasse dans laquelle ils se sont engouffrés.


United Red Army ne cesse de questionner sur les ressorts de l'engagement de cette génération japonaise sacrifiée, pourtant promise à briller et à remettre sa nation en ordre de marche. Il met en scène l'adhésion pervertie de ses protagonistes et la radicalité autistique de ses deux leaders vénéneux et toxiques, tout en confrontant le spectateur à sa méconnaissance des événements, à sa sidération, à la sorte d'hypnose qu'il ressent, dérivant peu à peu vers la tension, l'écoeurement et le dégoût d'un enfer à la fois confiné à la seule lumière des bougies des chalets, et à ciel ouvert avec la forêt clairsemée pour seul témoin.


Avec sa caméra, Koji Wakamatsu réussit à suffoquer littéralement son audience, à l'opprimer comme s'il appartenait à cette secte mortifère, la transformant en témoin impuissant de la folie, de la naissance d'une monstrueuse chimère qui se nourrit du sang versé sur le chemin d'une idéologie radicale sacrée et inaltérable.


La prise d'otage d'Asama s'impose quant à elle en chant du cygne du groupuscule terroriste, la fin de sa fuite en avant depuis longtemps hors de contrôle. Les cendres d'une nouvelle gauche morte après le siège d'une auberge de Nagano.


Tout cela, sous la caméra de Koji Wakamatsu, après 3H10 d'un film sollicitant une attention soutenue, à l'évidence, n'est pas une révolution.


Behind_the_Mask, paralysé de son côté gauche.

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le 17 janv. 2021

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