Une partie des détracteurs de Get Out n'avait pas envisagé, à l'époque, que le film puisse être une véritable comédie. On le devait, après tout, à Jordan Peele, moitié du duo comique Key & Peele, qui s'écartait ici des sentiers battus pour nous rappeler au bon souvenir du Sous-sol de la peur de Wes Craven, qui hybridait déjà soap, comédie noire-américaine, film d'épouvante et satire sociale en 1991. Il semble, qu'avec Us, le problème soit inverse, puisqu'en entrant dans le salle, personne n'avait apparemment compris qu'il s'agissait d'un film d'horreur, et voir un public de hipsters replet se tenir les côtes à la moindre réplique, même la plus anodine, restera gravé dans ma mémoire comme une des expériences les plus terrifiantes de ma vie de cinéphile — plus terrifiante que le film lui-même, par ailleurs, qui se contente d'un programme assez balisé et très référencé (de Funny Games à The Strangers) de home invasion mâtiné de fantastique.
À ce petit jeu, Jordan Peele surprend là où on ne l'attendait pas forcément. Du flashback d'introduction à une scène d'angoisse en bord de mer, Us est à couper au cordeau, et témoigne d'une maîtrise du cadrage et du montage insolente — à l'image des affrontements entre les protagonistes et leurs "ombres", incarnés par les mêmes acteurs, et mis en scène avec une économie et une précision chorégraphique qui forcent le respect. Seulement, une fois évacué le beau concept (une famille affronte son double diabolique) et son intelligente application visuelle, Us se trouve le souffle bien court. Parce qu'il a fait le choix d'évacuer la satire raciale, Jordan Peele peine à hisser son film au-delà de son idée de départ, et cède à un twist qui, non content de laisser des béances énormes dans le scénario, essore également tout le potentiel politique de Us, qui se présentait jusque là comme une parabole des tensions communautaires aux États-Unis. En ressort un étrange négatif de Get Out, faux film d'exploitation en roue libre : Us expose brillamment ses cartouches mais ne les tire jamais vraiment.
Il serait néanmoins faux de dire que le film n'est jamais tout à fait politique. Le simple fait de mettre en scène une famille noire dans un film de cette envergure (il faut se souvenir des moqueries qu'a pu susciter le cinéma foireux de Tyler Perry avec peu ou proue le même programme) ou encore d'en tuer les quelques personnages blancs en premier (et par deux fois, quelle ironie), suffit à Jordan Peele pour cultiver sa différence dans un pays extrêmement tendu autour des questions de représentation raciale dans la culture. On appréciera d'autant plus ce parti pris qu'il permet à la trop rare Lupita Nyong'o et à l'inconnue Shahadi Wright Joseph de briller dans des partitions tour à tour drôles, pathétiques et glaçantes : il est difficile de ne pas être hanté par leurs interprétations terrifiantes de Red et Umbrae après la séance. Mais une fois évacué ce degré de lecture, somme toute très méta, Us n'est rien de plus qu'un home invasion classique égrainé avec la précision d'un métronome. Et s'il confirme que Jordan Peele a bien les épaules pour reprendre La Quatrième Dimension, tant Us en ferait un épisode brillant, pas sûr qu'il soit tout à fait à la mesure du coup d'éclat qu'était Get Out. En attendant la suite, donc.