On ne peut pas reprocher à Jordan Peele d’avoir gagné en confiance à la suite de son premier essai avec Get Out : le film était malin, le propos audacieux et l’ensemble bien troussé, le succès au rendez-vous, l’estime critique partagée.


Tous les indicateurs étaient donc au vert, et c’est bien là une chose qui se sent à la découverte de ce nouvel opus qui reste dans le registre horrifique et dans la -pseudo – parabole.


L’ambition est partout : dans la durée injustifiée d’un récit qui prend vraiment son temps pour installer une famille pourtant on ne peut plus lambda, entre les discussions en voiture, les blagues vaseuses de papa et les mines consternées de l’ado de service, avant un tout aussi long échange avec une autre exemple, plus blanc, riche, gavé et alcoolisé.


Un flash-back d’assez bonne tenue est censé suffire à maintenir une tension qui en annoncera une nouvelle. Le prologue, se déroulant en 1986, est en effet l’occasion pour Peele d’asseoir sa stature de cinéaste, et avec une légitimité non discutable. Ses cadrages et l’ambiance qu’il instaure dans cette fête foraine qui s’embourbe dans une galerie des glaces est suffisamment graphique pour impressionner, et trouée de béances pour fasciner.


Autant de manœuvres dilatoires qui haussent inévitablement le niveau des exigences. Et force est de constater que la mayonnaise va avoir bien du mal à prendre. Jordan Peele hésite constamment entre deux tendances ; celle, tout d’abord, du thriller d’épouvante lambda, avec abus de musique tendue (ces montées de violons irritaient déjà il y a quarante ans dans Shining, il serait vraiment temps de passer à autre chose), recherche vaine dans la diversité des mises à mort et exploration consciencieuse du cahier des charges (le bateau/la voiture/la maison, la batte /le club de golf /le tisonnier, la planque dans un placard / le silence anxiogène /le jump-scare, etc.), humour supposément noir mais surtout obscur de lourdeur.


Celle, plus ambitieuse, donc, d’un formalisme et de fioritures scénaristiques qui permettraient de sortir des sentiers battus qui, on vient de le voir, tracent pourtant très largement la route de ce récit qui se résume à une nuit sanglante. Peele cherche à s’inscrire dans un traitement à la croisée de plusieurs influences. Un Haneke light (soit, disons, un Lanthimos version Mise à mort du Cerf Sacré) pour le sadisme sur la cellule familiale et la façon dont on pourrait, de temps à autre, lever le voile sur la propension à la violence des victimes et une part sombre qui éviterait le total manichéisme ; du Richard Kelly (Donnie Darko, mais surtout The Box, déjà cités par Mitchell dans le récent Under the Silver Lake, que d’aucuns reconnaîtront ici) dans certaines sorties de routes et des ramifications historiques censées élargir le propos, convergeant vers un dénouement avec rappel des indices initiaux ayant la finesse de ceux de Shyamalan (oui, la formule est ironique).


En résulte un gros fatras qui n’a pas grand sens, et qui donne la désagréable sensation de se faire enfumer deux fois : par un film somme-toute banal, et par le glaçage vain dont on la poussivement recouvert. Cette séquence interminable de danse combinant en montage alterné 3 temporalités qui se voudrait ainsi l’apogée du film en termes de mise en scène et d’écriture résume à elle-seule ses ostentatoires tentatives pour se distinguer.


Car il ne faut pas s’y tromper : Us n’a pas grand-chose à dire, n’en déplaise à ces longues et laborieuses explications, qui n’offrent aucun réel sous-texte politique, social, ou philosophique. On ne s’attardera pas sur les coïncidences lourdingues, retrouvailles constantes, et justifications foireuses d’une conspiration à laquelle on ne comprend pas grand-chose pour la simple raison qu’elle tient sur un timbre-poste, tout en amplifiant à l’échelle d’un pays une histoire qui n’en demandait pas tant. Ces sous-sols, ces lapins et ce joli design de paire de ciseaux font leur petit effet sur des photogrammes ou dans une bande annonce. Etalés sur deux heures, ils se révèlent surtout ridicules, au sein d’une entreprise qui, se croyant audacieuse, n’en est que plus prétentieuse.

Sergent_Pepper
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le 22 mars 2019

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