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7.4
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Film de George Cukor (1938)

Elle a beau vendre du rêve ou réchauffer nos cœurs, la comédie romantique peut également servir d'habile stratagème à un cinéaste afin d'aborder une réalité sociale difficile ou de dispenser un regard sans complaisance sur l'individu. Holiday est en cela l'une des plus belles réussites en la matière, car sous ses dehors d'œuvre légère et sucrée, se cache quelques vérités aux goûts amères venant nous rappeler une réalité désillusionnée, celle de la société US au lendemain de la crise de 1929.


Avant de se lancer dans la satire joviale, dure sans être féroce, avec The Philadelphia Story, Cukor réunit le couple déjanté de Bringing Up Baby afin d'exposer avec douceur son regard critique envers une société qui n'en finit plus de brader ses valeurs fondatrices, dénaturant sans cesse ce qui constitue son rêve américain.


Celui-ci, bien souvent, est perçu à travers la figure du self-made-man, c'est-à-dire le citoyen qui peut concrétiser ses rêves en gravissant l'échelle sociale par la seule force de son travail. C'est le cas du personnage central, Johnny, interprété par Cary Grant, ancien pauvre et nouveau riche, qui compte bien profiter des fruits de son labeur en s'offrant une vie d'oisiveté. Des ambitions, toutefois, qui s'opposent à celles de sa nouvelle classe sociale, incarnée par sa belle-famille, le clan Seton, qui voue un culte irréfrénable au dieu dollar.


Se pose alors malicieusement la question du bonheur : celui-ci est-il compatible avec le mode de vie vanté par l'american dream ? On peut en douter tant les réalités sociales semblent aller à l'encontre de l'épanouissement personnel, les aspirations de l'individu se diluant dans l'intérêt de la caste à laquelle il appartient.


Ces chaînes sociales qui asservissent l'homme, Cukor prend le parti de les exhiber avec outrance afin de s'en moquer en toute liberté. Holiday sera ainsi constituée d'un empilement de cliché, de situation et de personnages archétypaux, afin de tourner en ridicule le culte de la réussite à tout prix et de vanter, par la même occasion, les mérites d'une vie plus libertaire. D'une certaine façon, sous ses aspects de comédie inoffensive, Holiday annonce ce que sera le mouvement contestataire des années soixante.


À défaut d'être originale, la mise en scène va faire preuve d'une véritable efficacité en opposant systématiquement ces deux conceptions de la vie, rappelant bien souvent la démarche entreprise par Frank Capra avec des films tels que It's a Wonderful Life ou You Can't Take It With You. Ainsi, dès l'intronisation de Johnny au sein de sa belle-famille, la différence entre les deux mondes saute immédiatement aux yeux : vaste, immense, gorgée de faste et de dorure, l'antre des Seton exhibe avec indécence un luxe inaccessible au commun des mortels. En cette période post crise de 29, leur mode de vie est tellement excessif, délirant, qu'il ne peut être que risible !


Privilégiant avant tout la force du visuel, Cukor nous emporte immanquablement par son sens de la caricature : on rit ainsi de cette demeure familiale surréaliste, où les étages font office de marqueurs sociaux ; tout comme on s'amuse de voir Johnny se perdre au milieu d'un hall d’entrée, aux proportions gigantesques. Mais c'est surtout par le biais des personnages que l'humour se fait le plus virulent : la fantaisie du couple Potter (avec un Edward Everett Horton une nouvelle fois magnifique) rend irrémédiablement sinistre le clan Seton ; l'espièglerie de Linda et de son frère Ned va mettre en relief la vie morne du reste de la famille ; le regard du trublion, Johnny, ne fera que mettre à jour le comportement pathétique de son beau-père (sa fierté devant un ascenseur personnel totalement dérisoire, son entrain à vouloir organiser la vie de son gendre).


Délicieusement caustique, Holiday trouve son paroxysme lors de la célébration des fiançailles durant laquelle le divorce entre les deux modes de vie semble consommé. Une nouvelle fois la maîtrise visuelle de Cukor fait merveille et donne tout son poids aux images : tandis que la cérémonie des Seton, guindée, apathique, se déroule dans les parties basses de la maison, une autre se déroule en parallèle dans les parties hautes, dans une pièce dédiée au jeu et à l'enfance, où les amoureux et leur complice se retrouvent dans une ambiance festive.


Elle a beau être un peu convenue, la démarche entreprise par Cukor a le mérite d'être particulièrement réjouissance et donne à cette comédie romantique toute sa saveur. On pourra bien sûr regretter un geste caricatural un peu facile et une théâtralité également un peu trop présente, mais le film regorge suffisamment de bons moments pour gagner notre adhésion : l'efficacité de la mise en scène n'aura d'égale que l'excellence du duo vedette : Grant et Hepburn sont tous deux irrésistibles. Et puis évidemment il y a ce ton réaliste, aux accents tragiques, qui parcourt le métrage sans être inquiété par la légèreté ambiante. Le final, d'ailleurs, qui scelle comme il se doit la victoire des deux amants, ne parvient pas à nous faire oublier l'image de Ned dont l'alcoolisme atteste de sa résignation ; ses rêves ne sont plus, le système a eu raison de lui.

Procol-Harum
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le 10 oct. 2021

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Procol Harum

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