En lui-même, Vaincre ou Mourir est un docu-fiction sympathique, qui souffre beaucoup de son manque de moyens criants et de l'absence d'une durée suffisante pour développer ses personnages, pas mal de l'amateurisme de l'acting de certains seconds rôles, et un peu du caractère surécrit ou surfait de ses dialogues. Il n'en reste pas moins qu'il rachète le tout par une très belle énergie, et par sa mise à nue honnête d'un pan de l'histoire républicaine souvent mis sous le boisseau. De fait, les débats d'école quant à la qualification en génocide des massacres de l'armée républicaine me semblent parfaitement oiseux. 100 000 à 200 000 Vendéens seraient morts sous les balles de la République, 40 000 dans les brasiers des colonnes infernales de Turreau. Si je me range plutôt du côté de Jean-Clément Martin (qui affirme que parler de génocide est abusif, puisque la population n'a pas été ciblée pour des raisons ethniques et que certains Vendéens ont embrassé spontanément la cause républicaine) que du côté de Reynald Sécher, historien qui défend la thèse adverse et a contribué au film, force est de constater que personne de sérieux ne nie la réalité brutale de la boucherie que fut ce qu'on doit bien qualifier de guerre civile. C'est là un secret de polichinelle : la République, cette grande dame de lumière aux colonnes de feu, a poussé dans une mare de sang.
Je préfère donc, comme toujours, dériver vers le hors sujet en soulignant le caractère religieux des croyances en cette République comme un modèle de civilisation supérieur et un absolu de vertu. Il suffit, pour cela, de constater avec amusement les cris d'orfraie poussés par nombre de membres de Sens Critique sur cette page, qui semblent s'alarmer de l'existence de comptes créés pour rehausser la note de Vaincre ou Mourir, d'un activisme d'extrême droite rampant, en somme. Là où la fébrilité qui transparaît de ces récriminations hystériques m'interpelle, ce n'est pas tant qu'elles soient dénuées de tout fondement. De fait, attribuer un 10/10 à Vaincre ou Mourir, c'est faire fi un peu vite de tous les défauts criants que j'ai déjà mentionnés, et s'inscrire de façon incontestable dans une dynamique de combat politique qui vise davantage à défendre une œuvre-manifeste qu'à juger de sa qualité absolue. Là où l'attitude de cette chère gauche républicaine interpelle, ce n'est pas non plus dans le fait après tout habituel qu'elle emploie en masse les méthodes qu'elle dénonce chez son adversaire (le nombre de 1/10, d'une mauvaise foi encore plus prononcée que les 10/10 auxquels ils répondent, en témoigne).
Non, ce dont on pourrait s'étonner, ce sont sans doute bien davantage les accents paniqués que l'on sent dans cette dénonciation hypocrite des tentatives de rehausser la note de Vaincre ou Mourir. Comment est-il possible, je vous le demande, de s'abaisser à craindre l'activisme politique d'un camp mis à ce point en minorité que la note de l'œuvre qu'il est censé défendre avec acharnement s'effondre à 3,9/10 ? La présence de quelques contradicteurs au milieu d'un océan de leurs partisans ne devrait elle pas indifférer (sinon amuser) tous les détracteurs de ce film et de sa (très légère) charge anti-républicaine (le film apporte simplement des nuances à l'aide de vérités historiques établies, il n'est jamais un plaidoyer frontalement royaliste) ? De fait, qui se sait fort se rit de toute adversité, et c'est le privilège de la force que de tolérer sans s'en inquiéter l'hostilité de l'autre. L'intolérance de ceux qui se réclament aujourd'hui de la République par exclusivisme partisan (comme si l'amour d'une histoire chrétienne faisait nécessairement de tout esprit un odieux partisan de la tyrannie) a tout, à vrai dire, de la fragilité d'une foi largement vacillante.
De fait, ce jacobinisme resuscité illustre mieux que toute autre chose le caractère fidéiste de cet amour républicain qui n'a jamais, malgré les mensonges des Lumières, été bâti sur la raison. Je renvoie à Régis Debray et son idée de communion pour qui serait tenté de comprendre les religions séculières qui ont fait suite à la mort de Dieu martelée par Nietzsche. La République et sa DDHC sont après tout fondés sur une série de postulats, effets de manche déclaratoires qui visent à faire oublier qu'en l'absence de tout dieu, aucun substrat n'existe pour fonder un vérité absolue. Les principes que l'homme met au pinacle pour ordonnancer sa vie et les sociétés n'auront alors jamais qu'une origine contractuelle, et n'atteindront jamais à la force apodictique d'une vérité révélée. Dieu, après tout, ne se définit peut-être pas autrement que comme le point final à toute forme d'interrogation axiologique, comme un coup d'arrêt asséné au néant. En son absence, le relativisme est la seule position conséquente.
Or, ce relativisme est insoutenable à l'Homme. Il a donc fallu indûment à nos pères républicains sanctifier les principes républicains et immoler à leurs nouvelles idoles des victimes expiatoires pour sceller dans le sang la nouvelle Arche d'alliance républicaine. René Girard, qui avait compris à la suite de Freud l'importance du sacrifice dans la cristallisation du sentiment religieux, ne me contredirait sans doute pas sur ce point. Les Vendéens, sans doute et dans le sillage de leur roi, étaient de ceux-là. Quoi de mieux, d'ailleurs, que le massacre de frères de sang pour signifier le triomphe de l'universalisme républicain sur toute forme de fidélité antérieure ? Quoi qu'il en soit, les héritiers de cette foi républicaine n'ont pas disparu, toujours aussi prompts à défendre avec une ardeur fanatique l'idole par laquelle ils avaient remplacé l'ancienne. Ce n'est qu'à l'aune de ces considérations que s'éclaire l'incapacité totale à l'acceptation de toute forme de nuance si caractéristique de la pensée d'une fraction non négligeable de la gauche contemporaine française. Le contenu d'une foi révélée n'a après tout pas à être discuté, et la raison ne s'applique pas à ce qui relève du champ du sacré. La République est une Église, et aux yeux de ses prêtres, Vaincre ou Mourir est un blasphème.
Pour conclure, je me dois de préciser que cette critique est certes celle d'un conservateur de droite, mais aussi celle d'un homme démocrate et athée. Je considère certes la démocratie comme un modèle dont les vertus dépassent les évidentes lacunes, mais cela n'éclipse à aucun moment en moi la conscience de la dimension contractuelle et contingente du modèle sociétal sur lequel nous sommes tous placés en équilibre précaire. Cet équilibre, les bigots de la République l'ont toujours menacé, leur hystérie jetant sur la France dont ils voudraient trancher net les racines l'ombre du fanatisme le plus obscur qui, peut-être, précipitera leur chute, parce que la foi et les structures rigides qu'elle détermine ne sont pas assez résilientes face aux soubresauts capricieux de l'Histoire. À trop vouloir ériger un nouveau totem et massacrer symboliquement en son nom leurs adversaires idéologiques, ils oublient sans doute un peu vite cette vieille vérité historique qui veut très simplement qu'après la gloire, chaque idole ait son crépuscule.